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Critique de berni_29


Mes forêts sont belles, mais je ne sais pas comment le dire.
Elles sont pour moi des îles, des horizons, des fragments de vies, des racines, des feuillages où bruissent des gestes, des battements d'ailes.
J'ai besoin de la forêt comme j'ai besoin de la mer. J'ai autant besoin du mouvement de la vague que de l'entrelacement des arbres.
J'ai besoin d'entendre et de sentir la forêt ; et quand je parle de la forêt c'est celle toute proche où parfois je vais courir, où parfois je vais marcher. Où parfois je m'arrête, je m'adosse, je m'enlace contre le tronc d'un hêtre, un en particulier, car dans une forêt on finit par se faire des amis.
Un jour, un samedi après-midi, je me rappelle être entré pour la première fois dans cette toute nouvelle librairie qui venait de s'ouvrir dans ma commune et qui s'appelle Elizabeth & Jo. J'y suis entré comme on entre dans une forêt, le coeur tremblant et les bras ouverts. Les livres étaient le feuillage de cette forêt nouvelle.
Elles s'appellent toutes les deux Julie, un pur hasard, même si Paul Éluard vous dirait qu'il n'y a pas de hasard, qu'il n'y a que des rendez-vous. Elles m'ont souri, comme on accueille quelqu'un dans sa maison. J'ai effleuré les livres autant que leur sourire. Je ne sais plus comment le sujet est venu, celui de la poésie, ah si ! je me souviens maintenant, j'ai demandé si elles avaient un rayon poésie. L'une d'elle, Julie donc, m'a évoqué justement l'envie de développer un rayon de poésie au travers de petites maisons d'édition peu connues encore et m'a montré ce qu'elles proposaient aujourd'hui, avec un coup de coeur pour une maison d'édition, les Éditions Bruno Doucey. C'est ainsi que je suis venu vers Mes forêts.
Ou plutôt, Mes forêts, ce recueil de poésie est venu à moi par ses branches tendues, comme des bras, des mains.
Hélène Dorion m'a invité dans ses forêts, ses vertiges, la douceur des mots qu'elle tisse pour dire la survie, l'exil, l'horizon.
Je suis venu dans l'odeur d'humus de ces pages et je m'en suis abreuvé. Ce fut une ivresse.
" les forêts nous promettent
l'écume et les embruns
sur l'épaule du présent
l'écorce du souvenir "
Je savais depuis longtemps que les forêts ont ce pouvoir mystérieux d'entrer en nous. Chaque fois que je traverse une forêt, je suis en même temps traversé par cette forêt.
Les poèmes d'Hélène Dorion m'ont traversé.
Mes forêts sont à quelques encablures près de celles décrites par Hélène Dorion.
C'est comme si Hélène Dorion avait percé en moi un trou pour y déverser des bruits d'oiseaux et de ramures, les odeurs d'humus et de la pluie sur les feuilles, le vertige qui se terre derrière cet édifice.
J'ai l'impression que ce qui se tait en moi bruit dans le feuillage de ces forêts. Je me suis reconnu dans chaque racine, chaque écorce, chaque déchirure.
Je sais que j'ai trahi des paysages. Je voudrais revenir vers eux, qu'ils me pardonnent et m'acceptent de nouveau.
Je me faufile dans les mots de ces poèmes, je vis, je revis, je revois.
Ces poèmes sont beaux comme la lumière qui dégringole dans une clairière.
Je balbutie, je tremble comme une feuille, une feuille qui n'est pas encore morte.
Mes forêts, - comme j'aime ce possessif pour une fois, comme on pourrait dire « mes enfants », « ma vie » aussi...
Mes forêts, je voudrais les clamer, dire les mots qui s'égrènent, se dispersent, fatiguent peut-être nos illusions ou les réconcilient.
J'avance à petits pas dans les pages, j'avance dans la nuit. Je capte des étoiles dans mes yeux. Elles sont retenues dans les branches éparses. Je les cueille avec mes doigts comme des fruits. Elles seront toujours là désormais, sommeillant dans le bruit du monde,
L'écoulement du temps...
« Une feuille tombe nue
comme s'égrènent les voix
dans leur solitude. »
Tout est beau dans le chemin proposé par Hélène Dorion. C'est une ivresse sylvestre.
C'est une promenade magnifique, une tangente vers l'ailleurs, étrangement nos pas reviennent sans cesse à nous.
Les forêts sont des rivages.
« où aller
quand il n'y a pas de commencement »
Je voudrais que tous les jours soient un commencement.
Une forêt d'éternité.
« par la lenteur du monde
je me laisse étreindre
je n'attends rien
de ce qui ne tremble pas »
Il reste sans doute à la fin de ces textes un sentiment de fragilité. Que peut la beauté des mots ou de la nature contre les barbaries ? Que peuvent les forêts merveilleuses ou agonisantes ?
Il nous reste alors nos forêts, amples et multiples.
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