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Critique de mh17


Sergueï Dovlatov (1941-1990) est un écrivain remarquable injustement méconnu en France. Il était un journaliste très turbulent en URSS. Il a émigré aux États-Unis en 1978. Il écrit alors de courts récits autobiographiques notamment La Valise recueil de nouvelles très drôles que je vous recommande. Et puis il fait des pieds et des mains pour faire publier la Zone, Souvenirs d'un gardien de camp, tiré de son expérience durant son service militaire en 1962. Dovlatov était alors surveillant dans un camp de prisonniers récidivistes de droit commun dans la République autonome de Koumis, au Kazakhstan aujourd'hui. le récit a été composé avant son exil puis microfilmé. le film arrivera par petits bouts mais Dovlatov ne parviendra jamais à reconstituer la totalité du puzzle. Alors il imagine une lettre fictive à son éditeur, Igor Efimov, elle aussi fragmentée, qu'il insère au récit en lieu et place des morceaux perdus. C'est cette alternance entre épisodes et commentaires qui fait l'originalité du livre.
Dans les lettres à l'éditeur, Dovlatov veut tordre le cou à notre vision manichéenne de la littérature carcérale. Les gardiens ressemblent comme deux gouttes d'eau de vie aux détenus. Ils sont substituables. « J'ai découvert une ressemblance frappante entre l'univers carcéral et la vie ordinaire. Entre les détenus et leurs surveillants […] Même physiquement nous nous ressemblions. Crânes rasés à la tondeuse […]. La plupart des détenus auraient pu s'acquitter du rôle de gardien. Et la plupart des gardiens auraient mérité la prison […]. le reste est secondaire. C'est le sujet central de toutes mes histoires. » Ce lieu intermédiaire entre le bien et le mal matérialisé par un couloir, c'est la zone. C'est un lieu sauvage qui lui fait peur au départ et qu'il parvient peu à peu à apprivoiser, avec l'aide de la vodka. Pour lui ce sont les circonstances qui vont jeter un individu d'un côté ou de l'autre. En plus, il esquisse l'idée que la vie dans les camps ressemble à la vie libre dans cette URSS post -stalinienne. « le camp reproduit l'État en modèle réduit. Plus précisément l'État soviétique. Avec la dictature du prolétariat (le règlement intérieur), son peuple (les détenus), sa milice (les gardiens). Son appareil du Parti, sa culture, son industrie. Et tout le reste. »
Boris Alikhanov, le narrateur, est le double de Dovlatov. Il a échoué là après avoir été viré de l'université de Leningrad et avoir divorcé. Dovlatov est un maître conteur, ces saynètes sont saisissantes. En deux trois phrases il plante le décor et développe des dialogues hallucinants de vérité. Terribles, extraordinaires, extravagants pour nous et tout à fait banals et normaux là-bas. le commentaire épistolaire est un nouveau dédoublement qui lui permet de mettre de l'ordre dans ce vécu terrible et absurde. A la fin, dans la dernière lettre à Igor l'éditeur, Alikhanov-Dovlatov rapporte qu'il a commencé à se dédoubler quand il a été tabassé. Sa vie s'est alors transformée par hasard en littérature.
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