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Critique de Saruoni


"Éloge du maquereau", voilà bien un titre qui pourrait apparaître sulfureux à celui qui ne connait pas toutes les nuances dissimulées derrière le terme d'éloge. Ce dernier ne désigne pas seulement un discours laudatif mais également, et surtout, ainsi que le précise René-Louis Doyon, "un discours juste, mesuré, raisonné [...] quant au but qu'il se propose."
Ainsi donc, dès le titre, le coeur du problème est dévoilé. René-Louis Doyon, par le truchement de cet essai, dénonce la méconnaissance de la langue française ainsi que l'appauvrissement de cette dernière. Cet épuisement linguistique serait le produit de plusieurs facteurs, tels que la préciosité excessive du 17ème siècle qui aurait conduit à la mise au ban du langage dit de qualité de tous les vocables considérés comme roturiers ou inélégants. Les néologismes et autres innovations fantaisistes usités à excès dans la langue contemporaine contribuent également à l'appauvrir.
Les conséquences directes de cette déperdition langagière sont des plus affligeantes : la jeune génération ne maîtrise plus sa langue maternelle et se contente d'un langage approximatif, ce qui est également l'apanage des cadres de l'administration française. Si ces débats sont d'actualité ils n'ont rien de récent car l'essai a été publié en 1949 !

Le chapitre introductif ayant jeté les bases du problème que je viens de résumer, René-Louis Doyon tâche ensuite de réaliser une définition la plus exhaustive et la plus documentée possible de ce qu'est "un maquereau".
Voilà l'objectif de ce court et néanmoins dense ouvrage. Les oeuvres qui y sont citées pour étayer le propos sont multiples, traversent les âges et débordent des frontières nationales. L'auteur est savant et distille son impressionnante érudition dans une langue sophistiquée mais jamais hermétique. Les mots employés peuvent souvent paraître rares ou exotiques car "Éloge du maquereau" est un voyage au coeur de la langue française. René-Louis Doyon est impitoyable. Tel un explorateur armé d'une machette il avance précautionneusement jusqu'à son but en éliminant méthodiquement toutes les théories fantaisistes des étymologistes peu scrupuleux. le tout dans un style vif et humoristique, si bien qu l'on s'instruit de la plus agréable des façons : en se divertissant.
L'objectif est atteint. Une définition des plus rigoureuses du "maquereau" est établie et le parcours qui y a conduit est des plus plaisants, aucun ennui n'a menacé le lecteur. En cela il s'agit d'un excellent livre. Les annexes, la postface et autres notes d'éditeur complètent le propos avec pertinence.

Quelques nuages viennent malgré tout obscurcir ce ciel jusqu'alors au beau fixe. Voici quelques éléments qui m'ont dérangé.
Éric Dussert, qui est à l'origine de la réédition de cet ouvrage, le décrit comme étant "intemporel". S'il ne fait aucun doute que le fond de ce livre que constituent le souci de la rigueur linguistique ou encore la recherche méticuleuse de la vérité sont en soi des ambitions louables et intemporelles, il ne fait également aucun doute malheureusement que le propos tenu dans "Éloge du maquereau" comporte par endroits une patine de suranné.
C'est ainsi par exemple que lorsque René-Louis Doyon traite de la prostitution, il ne mentionne pour ainsi dire jamais la prostitution masculine. le lecteur a bel et bien l'impression que pour l'auteur les personnes qui se prostituent sont exclusivement des femmes. Quant aux hommes vendant leur corps à d'autres hommes, cette acceptation est évoquée en seulement deux lignes, comme s'il s'agissait d'une catégorie qui n'était pas représentative du phénomène.
De toute évidence, le portrait que dresse René-Louis Doyon de la prostitution était peut-être fidèle en 1949 mais ne représente en rien celle qui a court de nos jours.
J'ai également noté au cours de la lecture quelques expression qui sont tout sauf intemporelles et qui hurlent leur appartenance à une époque poussiéreuse. C'est ainsi que les homosexuels sont désignés par la périphrase de "malheureux invertis" ou encore que les locutions maladroites sont taxées de "petit-nègre".
Enfin, la conception que René-Louis Doyon parait avoir de la langue me semble un peu classique et rigoriste. Lorsqu'il mentionne les causes directes de l'appauvrissement langagier, il cite l'introduction des mots d'origine étrangère au sein du français, due notamment aux naturalisations massives d'étrangers. Or, il me semble que cette conception de la langue qui doit demeurer un objet immuable et imperméable aux influences extérieures est on ne peut plus datée. La langue est un objet en mouvement. Elle évolue. C'est grâce à cette évolution, à cette adaptation perpétuelle par l'intégration d'éléments nouveaux qu'elle peut survivre et ne pas devenir une langue morte.

Quoi qu'il en soit, "Éloge du maquereau" de René-Louis Doyon est un ouvrage à lire, ne serait-ce que pour avoir un aperçu de la richesse du français. On referme cet essai avec le sentiment diffus d'avoir obtenu quelque chose de quasi divin : un fragment de connaissance.

Merci à Babelio et aux éditions Serge Safran.

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