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Critique de Arakasi


Par une nuit orageuse de l'année 1810, deux jeunes gens chevauchent au milieu de la campagne allemande et admirent le redoutable « Trou de l'enfer », un gouffre sans fond taillé dans la roche des montagnes. Ils sont tous deux étudiants et s'apprêtent à rejoindre la prestigieuse université d'Heidelberg. le premier ploie la nuque sous la pluie et se recroqueville sur sa selle à l'approche de la foudre. le second est dressé sur ses étriers et, bras ouverts et tête renversée, il interpelle le tempête grondante, se gausse et rit à gorge déployée de la furie des cieux. le premier se nomme Julius d'Eberbach, fils d'un savant et respectable aristocrate allemand. le second se nomme Samuel Gelb et, en sus du fardeau d'être juif et pauvre, porte également celui de la bâtardise puisque son père naturel n'est autre que celui de Julius qui ignore tout de cette fraternité. L'un est aussi faible que l'autre est fort, aussi indécis qu'il est volontaire, aussi commun qu'il est brillant, aussi doux qu'il est arrogant et orgueilleux. Pourtant le fier Samuel apprécie la compagnie du pâle Julius, à la façon dont les êtres énergiques se complaisent dans l'admiration et l'affection de ceux qui leur sont inférieurs.

Mais au cours de cette nuit de tourmente, le destin des deux jeunes hommes va changer… Hébergés par un pasteur, Julius et Samuel tombent sous le charme de la fille de celui-ci, la blonde Christiane. Sa douceur et sa pureté enchantent Julius, tandis que sa force d'âme et la méfiance qu'elle lui témoigne dès les premiers moments de leur rencontre fouettent l'orgueil de Samuel. Entre Julius et la jeune fille se noue rapidement une tendre idylle, mais Samuel voit du plus mauvais oeil cette influence qui menace de contrebalancer la sienne. Pour briser le jeune couple et assouvir sa soif de puissance, il utilisera toutes les ressources de sa satanique intelligence, avec d'autant moins de scrupules qu'il souhaite ainsi prouver sa seule et ultime loi : Dieu n'existe pas – ou s'il existe, il n'est que médiocrité et insignifiance – seul l'homme fort est maître de sa destinée et il n'a pas besoin d'autre divinité que son propre génie !

Ainsi débute « le Trou de l'Enfer », long prologue de « Dieu dispose ». Ces deux oeuvres forment un seul roman fleuve de plus de 900 pages, généralement méconnu des lecteurs d'Alexandre Dumas – et ceci à grand tort ! Ecrit dans une des périodes les plus sombres de la vie de Dumas où s'amoncelaient les désillusions politiques et affectives, « le Trou de l'Enfer » se distingue des oeuvres habituelles du romancier par son univers gothique et tourmenté, sa vision cynique et pessimiste de l'Histoire (on voit bien que Dumas a très mal digéré l'échec de la révolution de 1848 qui ne chassa la famille royale du pouvoir que pour y porter Napoléon III) mais surtout par son personnage principal particulièrement fascinant.

On est loin ici des héros trop parfaits à la Bussy ou à la Canolles : Samuel Gelb est un être sombre et violent, un blasphémateur génial agité par des passions tyranniques et sauvages. Aussi révoltants que puissent paraître certaines de ses actions durant le récit, il ne se sépare jamais d'une forme de splendeur sinistre, celles des hommes qui font le mal « grandement et hardiment », des hommes qui refusent de plier devant les sociétés et les divinités, quitte à attirer sur leurs têtes l'anathème et la haine universelle. Forcément, les autres personnages font souvent pâle figure face à lui… Notamment cette chiffe-molle de Julius qui, par son comportement, justifierait à lui tout seul la maxime qu'il n'y a pas de péché plus mortel que la faiblesse. Mais qu'importe Julius et ses mornes amours, puisque c'est pour Samuel que l'on lira et que l'on se passionnera pour « le Trou de l'Enfer » ! C'est avec fascination et excitation que j'ai suivi le récit machiavélique de ses forfaits, de son ascension et de son inévitable chute. Car les hommes peuvent lutter, hurler leur révolte, brûler chartes et commandements, nous sommes chez les romantiques et, à la fin, Dieu disposera…
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