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Critique de oblo


Était-ce une un défi pour l'avenir ou la simple bravache d'un de leurs personnages ? Lorsque Dupuy et Berberian font dire à une lectrice qui croise Monsieur Jean que ses livres, qui sont faits de l'air du temps, se dégonfleront à mesure que le temps passera, ils parlent - volontairement ou non - de leur propre travail. Et il faut bien dire que non, Monsieur Jean n'est pas l'une de ces bande-dessinées dont la valeur a décru avec les années. Certes, le propos semble relever d'un léger existentialisme qui, parlant à tous, reste à la surface des choses. Cependant, toutes les pages des six albums qui composent cette - presque - intégrale trouvent leur cohérence dans un humour bien senti et dans une sorte d'universalisme et d'intemporalité du propos qui font de Monsieur Jean une oeuvre charmante.

Monsieur Jean est, davantage qu'un écrivain, un homme qui écrit. Comprenons par là qu'il ne semble pas jouir de sa supposée aura intellectuelle ni du statut social que le succès de son premier livre lui a apporté. Monsieur Jean est un homme ordinaire, un citadin habitué à son train-train, fidèle à ses amis, un homme à qui l'engagement - notamment amoureux - n'inspire guère d'envie, un coeur souvent brisé, un audacieux qui se cherche et parfois se trouve. Monsieur Jean a des souvenirs de jeunesse, quelques regrets, des parents qui l'invitent à dîner le samedi soir, un appartement décoré sans imagination. Bientôt, Monsieur Jean a trente ans, des doutes qui l'assaillent la nuit, des questionnements sur l'engagement amoureux, sur la paternité, des insomnies, des doutes sur sa légitimité d'auteur, des rêves récurrents et interrogatifs : rien que de bien ordinaire.

Partant, il apparaît inutile de résumer ici tous les épisodes, ou même leur trame narrative tant il semble que ce n'est pas ce qui est raconté qui est important que la manière dont cela l'est. Pourtant, le fond importe, au moins autant que la forme. Voir, notamment, que l'évolution de Jean doit être vue au prisme de celle de ses amis les plus proches - Félix le dilettante, Jacques le macho-beauf et Clément le dircom branchouille - est intéressant. Félix est incapable de trouver un travail, il est un incorrigible gaffeur et pourtant, il parvient tant bien que mal à élever un enfant qui n'est pas de lui, et même à prendre des positions étonnamment matures (notamment sur le modèle familial). Jacques a fait le choix de laisser l'éducation de ses deux jumeaux à son épouse, Véronique, et il finit par se retrouver seul. Clément, enfin, est le sage, celui dont les conseils sont recherchés, et dont la causticité égale au moins l'ironie mordante de Jean.

Le charme tient alors peut-être de l'ancrage de l'oeuvre dans son époque. Chaque planche recèle son lot d'objets des années 90 (Gameboy, le vinyle dont c'est la fin supposée, la cabine téléphonique ...) et montre la ville des années 90 (le cinéma de ville, le disquaire, le bureau de poste ...). le cédérom et l'ordinateur qui apparaissent signalent à la fois un monde disparu, tout en soulignant que les objets ne définissent qu'une époque, et pas les hommes : on peut être circonspect quant à l'attrait des fameux Potok du petit Eugène, mais on comprend parfaitement la fascination qu'exerce un écran sur un esprit, quel qu'il soit : temporalité des choses, intemporalité du comportement humain.

Le graphisme des pages rejoint - et construit, en réalité - l'ambiance générale de l'oeuvre. le trait est tout en rondeurs, les couleurs sont vives, joyeuses. La ligne claire s'accommode d'une certaine simplicité dans le traitement des personnages. Tout paraît simple, mais en certaines pages se cachent des trésors, comme cette vue de New York ou celle d'un appartement parisien lors d'une soirée entre amis. le graphisme, tout comme le propos, conserve de la cohérence tout au long des six albums - hormis l'album La théorie des gens seuls, traité en bichromie -, renforçant l'idée d'une oeuvre unique, construite en une dizaine d'années.

Monsieur Jean est une bande-dessinée spéciale, sans doute parce que, à force de dialogues anodins qui sonnent justes, de dessins accessibles et pourtant beaux, de propos qui, sans être d'une extrême profondeur philosophique, touchent à nos craintes existentialistes banales et communes, du sens comique de nombreuses situations, elle joue la note juste. Et, avec les banalités, jouer juste est toujours un défi.
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