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Critique de fanfanouche24


Un immense coup de coeur pour ce roman d'une vie ouvrière située entre les années 1960 et 1980...qui dit avec les "tripes"... la détermination, le courage et le combat d'une femme "métallo" pour sa dignité !! La citation choisie en exergue l'exprime au plus juste !


"J'étais de la race de ces hommes qui brisent les cailloux avec les mains, qui couchent sur la neige comme sur de l'ouate, qui meulent des olives entre leurs mâchoires et qui veulent aimer toutes les belles tsiganes de la terre. Je ne demandais pas à mon prochain qu'il me nourrit et n'acceptais pas
non plus d'être son âne : je crois que c'est cela la dignité.
- Panaït Istrati, Dominitza de Snagov [éd. le livre moderne illustré, 1935]"

Un choix de lecture non intentionnelle, mais qui tombe dans cette période de révolte plus que compréhensible de la population française; ce mouvement fort des "Gilets jaunes", et ce "roman de vie" a des résonances
démultipliées dans ce contexte social de cette fin 2018 !!! A tel point que cela en est très troublant , après lecture...!!

Un grand coup de coeur pour cette auteure-historienne que je découvre par ce dernier roman, inspiré de la réalité ouvrière entre les années 60 [ *L'histoire débute en 1967] et 80, plus spécifiquement dans les forges et les acieries , en Basse-Indre, ancêtres d'Usinor puis d'Arcelor...
Notre "héroïne" courageuse, et magnifiquement fière porte un prénom d'homme, Yvonnick, ainsi que des bras d'homme grâce à sa mère qui l'a incité aux exercices, sport, et surtout lui a appris à se battre et à vivre indépendamment des hommes !

Pourtant... elle rencontre Julien, c'est l'amour partagé, la naissance d'un petit garçon, adorable, mais handicapé... cela ne décourage pas les nouveaux parents, courageux et unis ! Julien est métallo, il est fier de son travail... et en parle joyeusement et fièrement à son épouse. Et puis, le drame survient: Yvonnick se retrouve veuve à 29 ans, avec un tout petit... Si elle en veut pas perdre la petite maison, propriété de l'usine, elle doit remplacer son mari à la forge... et voilà notre Mère Courage, qui s'attelle à la tâche avec vaillance, et ce n'est pas une mince affaire de se faire accepter dans le monde de l'Usine, exclusivement masculin....

"On me confie une burette d'huile et une caisse à outils pour les menus entretiens. Certains collègues râlent de me voir tripoter le laminoir, rôder autour de cette chasse gardée.
On prend ma défense : " Yvonnick, c'est pas pareil, elle est la femme de Julien."
Je ne suis pas moi, je suis la veuve de quelqu'un, cela me donne le droit de marcher où il a marché, ma vie ici dépend d'un mort. (p. 216)

Une vraie pépite d'émotion et de parole redonnée au monde ouvrier...Une femme-mère-Courage, Yvonnick que les épreuves auraient pu terrasser, se bat, aime, joue des coudes, a son franc-parler, est fière de son métier de "métallo", de son difficile quotidien à l'usine, entre les chefaillons tripoteurs" et les camarades solidaires...Yvonnick nous parle des évolutions de l'Usine, de mai 1968, du dit progrès... qui oublie, "laisse sur le carreau " en passant, les ouvriers qui ont enrichi les grands patrons de l'industrie, pendant des décennies !!

"L'acier nous fabrique en nous rendant vulnérables.
On exploite les sols, on exploite les hommes, l'acier nous bouffe. le genre de mots interdit dans notre métier : le verbe aimer. Beaucoup d'entre nous se réfugient ici, comme le crassier et ses canaux se nourrissent des mauvaises herbes. L'acier, dans sa constance, dans le rythme des machines, me rassure contre la violence des hommes quand la pression les aspire. L'usine, c'est un bruit, mais aussi nos regards du temps où nos ancêtres travaillaient ensemble dans la campagne ou sur les océans, la loi du plus endurant et le soutien du plus faible. Bien sûr, je voudrais travailler d'un coup sans jamais revenir, mais je reviens et chaque fois, remplie d'elle plus que la veille.
La pauvreté, notre pauvreté, a des choses à dire."(p. 244)

Un roman "vrai", tiré d'une authentique réalité sociale, rendue encore plus vivante par le style de l'auteure, mêlant poésie, jargon ouvrier, technique, argot du monde du travail, de l'Usine...et le parcours d'une femme
déterminée, indépendante et vaillante , auquel on ne peut que s'attacher...! Des mots très justes pour exprimer la dureté incroyable du monde ouvrier en usine... alors d'autant plus pour les femmes... qui doivent combattre pour leur dignité, tant au travail qu'à la maison !!...

"Elles draguent en jurant que non mais en s'approchant des gars avec familiarité. Je ne les juge pas.
Elles m'apprennent quelque chose : pour survivre ici parmi les machines il faut que quelqu'un d'humain nous regarde. (p. 133)

Bravo et MERCI à Catherine Ecole-Boivin... pour ce concentré social , émotionnel et littéraire...même si la Bible de notre Mère-Courage se concentre sur le catalogue annuel de Manufrance...Objet-papier magique et consolateur pour la métallo, Yvonnick...!
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