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Critique de HundredDreams


Un peu comme le Yin et le Yang, deux oiseaux se font face, un rouge et un bleu.
Moi qui adore les oiseaux, cette magnifique couverture ne pouvait qu'attirer mon regard et mon intérêt.
Après la superbe critique de Patlancien, j'étais impatiente de découvrir à mon tour cette histoire. Je ne suis pas déçue, au contraire, c'est une de mes plus belles lectures de cette année 2021.

Ce roman, récompensé par les prix Hugo, Locus et Nebula, est un tutti frutti de plusieurs genres littéraires. A la fois dystopie, romance, roman épistolaire, roman de science-fiction, de guerre, ce savant mélange en fait un roman insolite et surprenant.

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Rouge et Bleu sont deux agents appartenant à deux camps rivaux, Jardin et Commandant. Les origines de cette guerre et de cette haine viscérale restent assez imprécises et obscures.

"On nous cultive, ... Nous nous enfouissons dans le tressage du temps. Nous sommes la haie, tout entière, des bourgeons de rose avec des épines en guise de pétales."

Depuis de nombreux siècles, elles s'affrontent, voyageant dans le temps et l'espace pour réécrire L Histoire, tissant de nouveaux brins, se poursuivant le long de différentes lignes temporelles. Aussi audacieuses que dangereuses, faisant preuve d'habileté et d'élégance, elles évoluent comme deux ballerines, leurs mouvements emplis d'une force poétique qui s'harmonisent à merveille.

Par provocation, les deux adversaires vont entrer en contact par l'intermédiaire d'une correspondance.

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Dès les premières lignes, j'ai été séduite par l'écriture.

« Quand Rouge gagne, il ne reste qu'elle.
Le sang nappe ses cheveux. Elle exhale de la vapeur dans la dernière nuit de ce monde mourant.
C'était amusant, songe-t-elle, mais cette pensée la gêne aux entournures. C'était propre, au moins. Remonter les fils du temps vers le passé pour s'assurer que personne ne survivrait à cette bataille et ne contrarierait les futurs prévus par son Agence – des futurs dans lesquels l'Agence règne, dans lesquels Rouge elle-même est possible. Elle est venue nouer ce brin d'histoire et le brûler jusqu'à ce qu'il fonde.
Elle tient un cadavre qui a été un homme, les mains gantées par ses entrailles, les doigts serrés sur l'alliage métallique de son épine dorsale. Elle lâche prise et l'exosquelette cliquette contre la pierre. Une technologie grossière. Antique. Bronze contre uranium appauvri. Il n'avait aucune chance. C'est la finalité de Rouge. »

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La construction de récit est particulièrement réussie, mettant en lumière, à tour de rôle, les deux protagonistes.
Entre chaque déplacement de l'une des deux ennemies, s'engage une correspondance.

« On m'enverra assurément défaire les dommages que tu auras causés. Et nous courrons de nouveau, toutes les deux, en amont et en aval, pompier et pyromane, comme deux prédateurs que seuls les mots de l'autre contentent. »

Dans cet échange épistolaire, on voit leurs liens se tisser délicatement, leur méfiance disparaître peu à peu, leur intimité s'épanouir dans le temps, se resserrer amoureusement. Au fil des lettres, elles se livrent davantage pour finir par se mettre à nu.
De cet échange pudique, le lecteur ne peut rester insensible à leurs peurs, leur vie solitaire, leur besoin d'affection.

« Tu m'as aiguisée comme une pierre. Je me sens presque invincible dans le sillage de nos batailles : une sorte d'Achille au pied agile et à la main légère. Je ne me sens faible que dans cet endroit inexistant où nos lettres se mêlent. »

Petit à petit, le lecteur apprend à mieux les connaître et à mieux comprendre dans quel monde elles évoluent. Mais il sent également se profiler une tragédie car cet amour est interdit. Si leur affection était découverte, leur camp les condamnerait à mort.

Ces lettres de toute beauté sont comme des diamants sertis dans la trame de l'histoire.

« Je veux te pister, te trouver, je veux être évitée, taquinée, adorée. Je veux être vaincue et victorieuse : je veux que tu me coupes, m'aiguises. Je veux boire un thé avec toi dans dix ans ou dans mille. »

J'ai particulièrement aimé le support de leurs correspondances. D'une inventivité et d'une poésie incroyable.

"Je t'envoie cette lettre depuis une étoile qui tombe. L'entrée dans l'atmosphère l'entamera, la mettra à l'épreuve, mais ne la fera pas fondre entièrement. J'écris en lettres de feu dans le ciel, une chute qui égale ton ascension."

Mais le style est recherché, imagé, exigeant et demande à être apprivoisé. J'ai mis un peu de temps à entrer dans l'histoire.
Le début du récit est très onirique, chargé en métaphores, au risque de se perdre dans un univers mélancolique trop nébuleux.
Et puis, après le deuxième tiers du texte, la magie opère et lire devient un de ces moments rares de pur bonheur. Les deux récits s'entrelacent subtilement, s'entremêlent amoureusement. Certains passages sont d'une beauté incroyable, envoûtante.

« Je t'aime. Si tu lis ceci, c'est tout ce que je peux dire. Je t'aime et je t'aime et je t'aime, sur les champs de bataille, dans les ombres, dans l'encre qui s'efface, dans la glace qu'éclabousse le sang des phoques. Dans les cernes du bois, les vestiges d'une planète qui s'effrite dans l'espace. Dans l'eau qui bout. Dans les piqûres d'abeille et les ailes des libellules, les étoiles. Dans les profondeurs des bois isolés où j'errais durant ma jeunesse, les yeux levés vers le ciel – et même alors, tu m'observais. Tu t'es glissée rétrospectivement dans ma vie et je t'ai connue avant de te rencontrer. »

Le dénouement est si beau, si romantique, si déchirant qu'il fait oublier les moments de flottement au début du récit.
« … quand je pense à toi, j'ai envie que nous soyons seules ensemble. »

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Magnifiquement écrit, délicieusement sensuel, délicatement sensoriel, je n'ai pas d'autres mots pour qualifier la force, la poésie et le charme que dégage cette étonnante romance de science-fiction. La beauté de cette histoire m'a touchée, troublée, surprise, transportée. Amal El-Mohtar et Max Gladstone ont eu l'excellente idée d'endosser chacun, le costume d'une des deux combattantes, permettant de discerner dans cet échange de lettres, deux proses, à la fois opposées, reliées et complémentaires dans leur style, tout comme le Yin et le Yang.

« Les oiseaux du temps » ne s'adresse pas seulement aux amateurs de science-fiction. C'est aussi un récit à part qui ne plaira pas forcément à tout le monde par les nombreuses zones d'ombre et l'écriture pas toujours facile à comprendre.

« Les mots blessent, mais les métaphores les relient, comme des ponts, et les mots sont comme des pierres qui servent à construire des ponts, douloureusement arrachées à la terre, mais créant quelque chose de neuf, une chose partagée, une chose qui est davantage qu'un unique Changement. »
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