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Critique de le_Bison


Au bord de la mer.
Le vent, des larmes tombent du ciel, une pluie glaciale.
Des maisons noires, des flocons blancs.
Un soleil, éphémère.
Quatre saisons qui s'enchaînent, et un homme qui écoute Vivaldi, qui écoute le vent et la mer, qui écoute le silence de sa vie.
 
Il est assis, face à une table en bois rustique, une machine à écrire Olivetti posée dessus. Face à la mer et au vent, il laisse court à son imagination. Ses pensées aussi fugaces que l'espace dans sa maison dépouillée. Une maison au toit noir, aussi noire que le goudron une nuit sans lune. Une feuille blanche sur la machine, aussi blanche que la neige qui tombe en flocons d'hiver. Un hiver qui commence tôt, aussi tôt que la nuit dans la journée. Il cherche l'inspiration, le coup de la panne on dirait. Qu'est-ce qu'un écrivain a à raconter ? Ses nuits... Ses jours... Ses pensées.
 
Il allume la radio : On y parle de Ben Laden, de Fukushima, de Syrie. Encore un massacre au Texas. Dehors le blizzard, il ferme les volets, et écoute les quatre saisons de Vivaldi. Printemps, été, automne, hiver. Autant de feuilles qui s'ouvrent, s'envolent, tombent, se fanent et se meurent. Sur sa table, quelques feuilles aussi s'envolent et s'entassent. Est-ce le début d'un roman. Il ne sait pas encore. Il repense à ce concerto n°1 de Chostakovitch qu'écoutait son père jusqu'à ce que sa bouteille soit vide. Il ouvre la fenêtre, laisse pénétrer la fraîcheur comme on laisse entrer l'inspiration. Il plonge son regard dans l'infini de la mer, bleue foncée presque noire. Pas un bruit, pas un son, juste la musique de la pluie, des notes qui tapissent ce champ visuel vert d'une fin d'automne. Avant d'entendre le feutre de la neige, les sons oppressants du vide et de la solitude. Un autre concerto.

L'encre du ruban de l'Olivetti manque de force. Bientôt les lettres ne seront que taches blanches sur feuille blanche. C'est peut-être ça, l'inspiration. Un courant d'air enveloppé de neige qui se couche sur sa feuille posée sur sa table pendant que lui se couche sur son lit à la lueur d'une bougie dont la flamme ressemble à l'âme d'une étoile. Il aurait dû être marin plutôt qu'écrivain. Se dit-il. Sombres pensées, s'imagine-t-il, sombrant dans le tréfonds de l'océan.  

Il retourne au café du village, avant qu'il ferme pour les six prochains mois, pendant le plus dur de la saison. Dans ce village loin de Reykjavík, les gens ne restent pas toute l'année. Seuls les écrivains en mal d'inspiration restent péniblement - ou tristement. La serveuse lui sert une bière. Elle est froide, la bière, la serveuse. Elle n'a pas aimé son premier livre. L'a-t-elle seulement fini. Pourtant, il doit être le seul auteur qui est entré ici. Il boit sa bière en silence, avant de remonter sur les hauteurs, en même temps que les brebis. 
 
Reste au café un pauvre type assis à la table du fond, il boit sa bière, lui aussi seul. Il n'est pas écrivain, il est juste lecteur d'auteurs islandais qui sonnent comme Eliasson ou Vivaldisson. Aujourd'hui et pour deux nuits, il lit un grand roman, une poésie nordique, il est accaparé par la beauté de la mer, par la magie du blizzard, par les maux de ce nouvel écrivain. Ces mots venus du froid, qu'il en oublie la tempête dehors, les marins qui ne reviendront plus, la lune bleue qui a disparu même lorsqu'il pose son regard sans âme à travers la fenêtre au sud.  

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[Ne cherchez plus, le plus beau roman lu en 2022 est celui-là.
Bon réveillon à tous.
Bonnes lectures]
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