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Critique de Darkcook


L'impression de m'être mangé un train dans ma putain de gueule.

American Death Trip, 950 pages d'un Ellroy qui expérimente avec brio des ambiances uniques dans son oeuvre, bien loin de Los Angeles : Dallas après l'attentat JFK et la fiesta ahurissante des rednecks mêlée à un choc assourdissant, Vegas et ses lumières comme pendant à Vegas-Ouest le taudis des noirs, le Vietnam et ses niacs... du 22/11/63 à juin 1968, de la mort de Jack à celles de Marty et Bobby, avec toute la trajectoire. L'exercice était bordélique dans Tabloid, mais ici, c'est ciselé, génial, grandiose et épique. Grâce à deux personnages sur trois qu'on connaît déjà, Pete Bondurant et Ward Littell, et au style auquel s'essaye Ellroy, qu'il a, à tort, renié depuis, même si du coup, ce roman n'en est qu'encore plus exceptionnel dans son oeuvre. On parle souvent de son style minimaliste, il est poussé à l'extrême ici, ultra-synthétique, répétitif (petit joueur par rapport à son disciple David Peace, ne vous attendez pas aux vers lancinants de celui-ci), selon lui pour refléter la violence de cette époque, où prévalent haine raciale, haine des communistes... Et c'est très efficace, en plus de simplifier et d'éclaircir les choses, pour éviter toute confusion dans ce qui pouvait devenir un maelstrom. Comme dans Tabloid, mais en mieux, Ellroy répète maintes fois qui fait quoi, qui trahit qui, et même qui a fait quoi précédemment, rendant la lecture du premier tome même dispensable. Chaque fin de chapitre est énorme, vous faisant pousser des "HOLY SH..." dans la bibliothèque, on vit avec les personnages leur destin qu'on sait funeste, et on sent qu'Ellroy s'est déchaîné sur ce roman qui lui a laissé une dépression nerveuse et un long moment d'errance avant Underworld USA, qui est encore radicalement différent dans la saga.

Pete Bondurant arrive en bout de course, il revit inlassablement le passé, il est fatigué. Son salut réside en Barb, voix de la raison et déesse ellroyienne, et il sera forcé de l'accepter. Toujours aussi badass, ce double d'Ellroy nous amuse toujours autant.

Ward Littell cherche le repentir après avoir blessé son idole RFK, et va s'évertuer pendant 5 ans à vouloir contrebalancer sa faute... Là-dessus, je conserve les surprises, il a le meilleur parcours des trois!! Extrêmement cohérent et symbolique, émouvant, à des années-lumière de son changement que je trouvais un peu bizarre et brut dans Tabloid. La vedette du trio, voire du roman. Vous n'imaginez même pas la somme de trucs que je me force à taire sur lui.

S'ajoute à eux Wayne Tedrow Jr. Un flic de Vegas qui vous rappellera les premiers personnages d'Ellroy, fantasmant sur sa belle-mère, coincé dans un rapport au père dont on devine aisément la conclusion, mais ça marche du tonnerre et c'est très bien fait. Les passages à Vegas-Ouest ou à Saigon en sa compagnie sont mémorables, mais je dirais qu'il devient le moins passionnant des trois à la fin. Dur pour Ellroy et les lecteurs de partir de là pour le troisième et dernier tome.

Tous les objectifs d'Ellroy sont atteints, on voulait finir American Death Trip sur les dernières pages, mais en fait on aurait voulu qu'il continue, encore et encore... Nous avons droit à un cadeau, un texte qui se range aux côtés du Grand Nulle Part et de la Malédiction Hilliker, au panthéon ellroyien, aux sommets de son oeuvre. Ellroy nous livre un véritable cours d'Histoire grandiloquent, tragique, avec ses touches habituelles de burlesque (Sal Mineo, si tu nous entends...). Tout le monde y passe, dans cette dénonciation très forte du racisme et de l'ultra-violence d'une époque spécifique, où Hoover et les mafieux (selon Ellroy) faisaient la pluie et le beau temps, dézinguaient absolument qui ils voulaient, pour conserver leur pouvoir et statu quo. Johnson le rustaud et sa guerre, l'apocalypse de Dallas post-attentat, le Vegas-Ouest dégueulasse, les états du Sud et toutes les horreurs perpétrées par le Klan, ce Vietnam et Laos complètement barges et hilarants sous héroïne, avec des jeux langagiers brillants sur les niacs, des rajouts de "K" partout (pour le Klan) excellemment repris dans la traduction française de Jean-Paul Gratias (son premier roman d'Ellroy, une leçon de traduction...). On est submergé de dégoût face au degré extrême que prend la haine pour les noirs et pour Martin Luther King à la fin, alors qu'elle restait cocasse, grand-guignol et tarantinesque jusqu'aux trois quarts, jusqu'à en devenir même contagieuse! Ellroy nous fait littéralement halluciner devant ce cauchemar raciste impuni. Mention aussi à Dwight Holly, âme damnée d'Hoover absolument immonde. Ellroy va devoir relever le défi de le rendre attendrissant dans Underworld USA, tâche vraiment pas aisée! Deux mois à le lire, mais putain, qu'est-ce que c'était bien, et qu'est-ce que je suis encore dedans. Lisez-le!! Même pas besoin de Tabloid, Ellroy récapitule!

Allez, après tout ça, quand même, retour aux classiques, y en a bien besoin. J'erre ces jours-ci dans la campagne, avec le Hugo des Contemplations...
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