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Critique de Atlantique


Évitant la stérilité d'une vision cantonnée aux canons propres à la discipline sociologique, Jacques Ellul livre son ressenti et ose avec un grand bonheur d'écriture un ouvrage transverse qui aurait tout à voir avec de la grande littérature, ou bien même avec de l'entomologie.
Le bourgeois, c'était hier ce personnage bien identifié qui tirait profit de l'activité économique. Aujourd'hui pourtant, tous le monde a adopté le mode de vie de celui-ci sans pour autant être capitaine d'entreprise. Force est donc d'admettre que le régime de propriété privée ne suffisait pas à le caractériser totalement.

Ce qui est bien déterminant ce serait plus des attitudes fondamentales envers la vie. Ses traits dominants, le bonheur érigé comme but absolu, l'adaptation rapide à toute situation nouvelle, l'assimilation -après neutralisation- de toute chose étrangère, sa passion pour la conquête et la réalisation ("le faire") plutôt que pour l'avoir et l'être...

En relation avec cette espèce ainsi définie, Ellul explicite différentes tendances de la société des années 60 (- déja -, serait-on tenté d'ajouter) qui serait l'écosystème particulier généré par ces attitudes. En particulier, Il pointe sous le terme d'imposture ce que l'on tente péniblement de définir aujourd'hui sous les termes de "confusionnisme" et de "post-vérité" :

"Imposture de prétendre tenir dans un même faisceau des faits contradictoires (ainsi le Bonheur et la Liberté) parce que le confusionnisme verbal a permis l'accouplement de la fumée avec le vent. Imposture des réalisations sociales qui portent toujours sur des drames et misères passés, dépassés, conclus et qu'avec grand bonheur on résout enfin aujourd'hui au milieu des flashs et fanfares - mais en se gardant soigneusement de considérer les nouvelles misères, les drames de maintenant, qui manifestement sont insolubles"

Surtout, il présente les nouveaux costumes endossés après leur grande mue par nos bourgeois d'antan. Quels seraient les propagandistes des valeurs bourgeoises dès-lors ? Surprise (pour l'époque !), ce serait les gauchistes, les ouvriers, les artistes, l'église, les élites des pays colonisés etc. qui serait au firmament de la tendance bourgeoise. Il y a plus, il y a évidemment le "cadre". Mais attention, distinction importante, on parle du cadre non pas sous sa casquette de manager, mais plutôt sous le manteau du "technicien" :

"La technicisation de la société produit le résultat recherché par la bourgeoisie : arriver à faire servir, à rendre concrètement utilisable toutes les forces, tous les facteurs pour qu'il n'y ait plus de temps morts, de valeurs inutiles, de rêves inexploités, de gratuité, d'individu."

Le monde contemporain sous agitation des Zuckerberg & co donne un caractère prophétique aux sentences d'Ellul tant le grand dessein d'Internet semble maintenant de faire de tout à chacun le parfait modèle du bourgeois du XIXeme siècle. Jonction est alors faites avec la grande préoccupation du penseur, la technique, présentée dans l'ouvrage culte "Le système Technicien". L'efficacité serait bel et bien une valeur du projet bourgeois.

L'autre grand thème traité est celui du bonheur. Idéalisé sous la forme du confort par la société de consommation, il préexistait chez le bourgeois comme idéal de vie. L'importance de cette notion pour l'homme serait récente - deux siècles environ - et ne se laisserait même pas définir auparavant. Voilà qui posera bien des problèmes chez le lecteur ! Il faut dire que l'auteur est habitué aux prises de positions radicales et ne déroge pas à son habitude dans ce livre qui ne manque pas de sorties, parfois déplacées, d'une grande violence.

Difficile de trouver un ouvrage plus profond et plus iconoclaste que celui ci pour juger de notre société, tant la remise en cause d'attitudes érigées en évidences intemporelles y est prégnante. Et forcement lecture d'une grande difficulté puisque l'on est bien prié de laisser son conditionnement à l'entrée. Un livre d'une importance majeure, voir fondamental !
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