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Critique de oblo


Pieterjan, un artiste à la carrière aussi hasardeuse que le sont ses amours, est invité dans un village flamand pour y monter une première biennale d'art contemporain. Sur place, il est accueilli par une foule de gens hétéroclites de bonne volonté mais définitivement incapables d'appréhender un tel événement. Porté par un dessin et une mise en scène virtuoses, Les amateurs de Brecht Evens est l'histoire d'un fiasco presque total, une farce absurde dont les personnages, décalés mais sensibles, permettent d'interroger à la fois la notion de l'art comme fait de société et celle de l'artiste comme figure sociale.

Les bandes-dessinées de Brecht Evens surprennent d'un point de vue graphique. Les planches, très libres, ne laissent apparaître aucune case, aucune bulle, aucun cartouche. le Belge invente son propre format, principalement caractérisé par une association simple de couleur entre le personnage et les paroles que celui-ci prononce. La couleur permet aussi d'identifier le caractère supposé de l'individu, ou du moins l'une de ses caractéristiques. Ainsi Kristof est représenté en rouge, couleur de la puissance car Kristof, en tant qu'organisateur de la biennale, représente l'autorité, symbolisée physiquement par ses mains gigantesques. En bleu, Valentijn est un jeune homme effacé et introverti en quête de reconnaissance, dont la forme du visage rappelle tantôt l'être de Roswell, tantôt le personnage du Cri de Munch. le orange de Cleo rappelle la teinte rousse de ses cheveux et sa vitalité ; le noir de Dennis, handicapé mental, ses angoisses et la menace qu'il représente parfois pour Pieterjaan. Au-delà du langage graphique nouveau, le dessin de Brecht Evens marque par une certaine exubérance, avec une profusion de couleurs, laquelle est adoucie par la délicatesse de l'aquarelle. L'utilisation de cette dernière permet en outre à l'auteur de jouer sur la transparence, et donc de superposer plusieurs scènes sans rien enlever à la lisibilité de celles-ci.

Les amateurs est d'abord l'histoire d'un fiasco. Aucun des personnages, à commencer par Pieterjan d'ailleurs, n'est réellement apte à organiser une biennale d'art contemporain. Si une tempête règle le sort de ce non événement en détruisant le nain de jardin géant construit en papier mâché pour l'occasion, le laïus final de Pieterjan, très positif et qui permet une happy end, donne au livre une véritable consistance. Car l'art, privé de son événement et de la preuve de sa réalisation, se réduit finalement à son unique dimension sociale (on pourrait dire qu'Evens n'évacue pas pour autant sa dimension esthétique, puisque la bande-dessinée, de par son traitement graphique, est très belle). En d'autres termes, Brecht Evens interroge l'art comme notion sociale. Les péripéties de l'histoire peuvent être lues à cette lumière, depuis les cocktails dans les galeries où drogues et alcools sont consommés jusqu'à l'attente locale suscitée par la biennale en passant par, évidemment, la vie du groupe d'artistes formé par Pieterjan, Kristof, Dirk, Erik, Valentijn et Dennis. L'art est un prétexte qui rassemble des gens de bonne volonté pour un projet qui les dépasse. Il est, en tant qu'activité humaine, fondamental parce qu'utile, au moins socialement, et qu'il habite ceux qui y consacrent du temps, que ce soit quelques minutes ou toute une vie.

L'art, donc, n'est pas une abstraction. Il est le produit d'une activité humaine réalisée par des hommes et des femmes désignés sous l'appellation d'artistes. Brecht Evens interroge aussi cette notion. Les personnages représentent tout le spectre de la notion d'artiste, depuis le maudit (Dennis) jusqu'à l'idole (Pieterjan, dont les avis sont demandés et respectés par l'ensemble de la communauté) en passant par le clown (Dirk) ou le plasticien honnête mais inconnu (Erik). Pourtant, le titre n'évoque pas des artistes, mais des amateurs. Étymologiquement, deux sens sont possibles. On pense d'abord à celui de non professionnel. À observer les uns et les autres, le terme d'amateurs est pleinement justifié : Pieterjan est logé dans le cabanon des parents de Kristof, lequel ne sait pas choisir le bon pot de peinture pour la sculpture géante. Autres exemples : le caractère très hétéroclite, sans fil conducteur, de la biennale ou encore la partie de pêche en pleine installation. Pourtant, un deuxième sens, plus littéral, doit être lu : les amateurs sont ceux qui aiment. Car, à n'en pas douter, tous ces personnages ont en commun l'amour de l'art. Cela justifie le parcours, confirmant l'adage que, dans un voyage, ce n'est pas la destination qui compte mais le trajet. Que Brecht Evens nous conduise est ici très plaisant.
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