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Critique de Antyryia



Je dédicace cette critique à Alexandra, qui a joué les mères noël tardives en m'offrant ce roman dès sa parution. Merci Alex !

Aujourd'hui est un jour très particulier pour moi.
"Et si cette journée qui commence était la dernière de ma vie ?"
Il est déjà 11h00 du matin, le 06/05/2019.
Tous mes volets sont fermés, j'ai également fait installer une porte blindée la semaine dernière. Je peux tenir un siège tellement j'ai à boire et à manger.
Comme vous l'aurez compris, je n'ai pas l'intention de mettre un seul pied dehors. J'ai posé une journée de congés et je me suis paré à toutes les éventualités, pas comme la grosse nunuche de Charlotte qui se rappelle en se réveillant le 28 octobre 2018 à une heure du matin qu'elle va peut-être mourir le jour même et n'a strictement rien anticipé alors que la prédiction lui a été faîte des années auparavant.
"Je te le dis : tu mourras de mort violente, Charlotte. Je le vois, ce sera horrible."
"Ce dimanche, 28 octobre, sera le dernier de sa vie …"

Oui, Charlotte a rencontré un devin trois ans plus tôt durant ses vacances à Marrakech. Avec trois amies, elles ont toutes eu droit à une prédiction, bonne ou mauvaise.
Celle de notre héroïne, la plus funeste, aurait du l'inquiéter bien plus tôt, notamment en constatant que le destin de ses amies s'était réalisé, mais cette gourde n'a tellement rien prévu qu'elle en arrive même à se retrouver bloquée à l'extérieur de son appartement parisien en petite culotte le jour où elle est censée mourir selon le sinistre présage qu'elle a reçu.
"Elle se giflerait tellement elle est bête, conne, débile."
Comment y croire ?
On ne se souvient pas d'une prophétie uniquement le jour où elle est censée se réaliser ...

Personnellement je me souviens encore de ma rencontre avec le puissant marabout Hadippa, qui remonte pourtant à plus de vingt ans aujourd'hui.
Ma petite amie m'avait quitté, je ne lui inspirais plus que de l'indifférence quoi que je fasse, alors quand j'ai vu une petite annonce dans La voix du Nord d'un professionnel promettant le retour d'affection, je n'ai pas hésité une seule seconde.
Sur l'instant, j'ai cru avoir énormément de chance. Malgré sa renommée internationale il pouvait me recevoir l'après-midi même.
Charmant de prime abord, il m'a proposé un prix de gros : Seulement 3000 francs pour retrouver mon amour perdu, pour me permettre d'avoir mon permis de conduire au premier essai, pour me rendre toute ma puissance sexuelle ainsi que ma fertilité, et pour me désenvoûter du démon qui m'habitait et m'empêchait sournoisement de gagner au loto.
J'ai du décliner l'offre alléchante, je n'étais encore qu'un jeune étudiant sans le sou.
Il a placé une photo de mon ex amenée par mes soins au centre d'un coeur de galets colorés, et a murmuré pendant plusieurs minutes des incantations en égrenant un genre de chapelet.
- Ca y est, c'est presque fini, murmura-t-il en jetant une poignée de sel de bain multicolore.
- C'est tout ? Pas de poulet égorgé ? demandais-je au grand sorcier.
- Non, tu n'as plus qu'à tirer sur mon petit doigt, et je verrai dans ton avenir si le sortilège a fonctionné.
Intimidé, je pris alors délicatement son auriculaire magique, que je tendis vers moi. Le grand marabout Hadippa laissa alors échapper un long pet odorant et je ne pus que m'interroger sur la quantité de flageolets qu'il avait mangée à midi.
- Je sens, je sens … s'exclama-t-il tout en humant ses gaz.
- Une odeur nauséabonde ? hésitais-je, respirant par la bouche.
A ce moment précis ses yeux devinrent blancs et d'une voix d'outre-tombe, il s'écria :
- Antyryia ! Tu vas périr dans d'atroces souffrances le 06 mai 2019 ! Les djinns en ont décidé ainsi.
Et puis le mage s'est écroulé, brisé par la fatigue. Sceptique, je suis reparti, mais à jamais la date probable de ma mort est restée gravée dans mon esprit.

Mon amour de jeunesse n'a jamais répondu au puissant appel du grand sorcier africain. Mais mon coeur s'est progressivement libéré de son emprise pour accorder ses sentiments à d'autres élues.
Mais assez parlé de moi, je suis là pour vous parler de Charlotte, et tenter malgré mon stress bien compréhensible de vous donner un avis sur le dernier roman de Jacques Expert.
Même si mon délai est en train d'expirer, je dois faire comme si de rien n'était, ne pas me focaliser sur toutes ces bêtises.
Charlotte a un homme dans sa vie. Elle est très amoureuse de Jérôme, un expert-comptable souvent en voyage. Il est d'ailleurs à Dubaï pour affaires ce fameux dimanche, et hélas injoignable au téléphone pour la rassurer.
Mais dès les premières pages, le lecteur se rend compte que ledit Jérôme n'est peut-être pas celui qu'il prétend.
"Ils sont ensemble depuis trois mois et elle réalise qu'elle ne sait pas grand chose de lui."
Et si cet homme un peu maniaque ne faisait qu'un avec l'égorgeur de chats, ce sociopathe qui sévit dans la capitale et qui semble suivre pas à pas Charlotte sur laquelle il semble avoir jeté son dévolu meurtrier, précisément aujourd'hui ?
Age, réussite professionnelle, absences, mésentente avec Grichka la chatte de Charlotte …
Vous le verrez, Jacques Expert s'amuse à semer le doute en multipliant les points communs entre le prétendant de notre jeune héroïne ( "Leur joli petit couple, le grand brun ténébreux et la superbe blonde romantique, fait l'admiration de tous" ) et le tueur méthodique qui s'attaque à "des princesses aux cheveux d'or. Célibataires, aussi. Avec un chat."

Et nous y sommes. Le 06 mai 2019. Vous comprenez mieux pourquoi je me suis ainsi barricadé. Mieux vaut prévenir que guérir comme le disait toujours ma grand-mère Eliane.
Je jette un oeil à ma montre. Midi et demi. le temps semble avancer au ralenti.
Depuis quelques semaines, un tueur en série sévit sur la ville d'Arras.
La province n'est pas épargnée par les fous dangereux. Il a déjà fait six victimes en trois mois. A chaque fois, le mode opératoire est le même. Ses victimes sont toutes des hommes dans la quarantaine, avec de longs cheveux blonds, et un serpent pour animal de compagnie. Il éventre ses victimes et loge leur reptile égorgé au milieu des intestins gluants de ses proies, en une sinistre parodie de boyaux supplémentaires.
Je frissonne en jetant un oeil à Choupette, mon python tacheté, qui se meut lentement dans son vivarium.
Vous l'avez compris, je correspond parfaitement au profil.

Malgré une boule au ventre qui ne me quitte pas, j'ai décidé de faire comme si de rien était aujourd'hui. A l'instar de Charlotte, je dois simplement attendre minuit que la journée soit terminée. Pour pouvoir passer à autre chose et ne plus être obsédé par ces pseudo-prédictions sans queue ni tête mais qui me maintiennent sur le qui-vive. C'est plus fort que moi.
Pour me changer les idées je commence le nouveau Franck Thilliez, Luca, mais au troisième chapitre, j'ai du abandonner, effrayé, en lisant cette phrase :
"Mais si je vous disais qu'à 17h02, ce mardi 7 novembre 2017, l'homme qui tenait cette lettre vient de mourir devant chez vous ?"
Avouez que pour penser à autre chose il y a mieux qu'un nouveau roman de prophétie macabre.
A croire qu'il est devenu très à la mode de deviner le jour de la mort d'autrui.
Je vais tenter de m'allonger un peu, je poursuivrai ensuite ma critique et partagerai en même temps mes angoisses.

15h00
Dans le roman de Jacques Expert, de nombreux courts chapitres sont également accordés au tueur. Comme dans La théorie des six, l'auteur entre totalement dans la tête de son personnage, nous décrit le moindre de ses mouvements, et chacune de ses pensées. Si vous êtes vous même un psychopathe en devenir, lisez ce livre qui fourmille de bons conseils pour pouvoir assassiner de jolies blondes en toute impunité, à condition de savoir être patient et de choisir vos cibles avec minutie.
"Prudence et discrétion, je ne le rappellerai jamais assez, sont les deux premiers commandements pour des gens comme nous."
Ainsi, nous suivons pas à pas ce tueur intelligent, prudent, rigoureux et optimiste qui a précisément choisi ce jour pour assassiner sa quatrième victime, sélectionnée avec le plus grand soin.
"Elle est seule ce week-end dans un immeuble quasiment vide, raison pour laquelle j'ai décidé d'agir aujourd'hui."
Et qui nous narre dans le détail comment il a procédé avec ses précédentes proies.
Et bien sûr, tout est fait pour nous laisser penser qu'il s'agit de Jérôme traquant Charlotte.
Mais avec Jacques Expert, il faut souvent se méfier des évidences.

A ce moment de ma rédaction, ma sonnette retentit.
Mon coeur rate un battement.
En sueur, je me demande si je dois répondre. Je me rapproche de la porte, regarde par l'oeilleton.
C'est ma vieille voisine du premier étage, qui a récemment fêté ses 83 printemps.
- C'est pour quoi ?
- Je viens vous apporter un morceau de tarte aux pommes. Je sais que vous en raffolez !
Pas question que je lui ouvre. Maintenant que j'y pense, je l'ai toujours trouvée bizarre. Il ne faut surtout pas que je cède à la paranoïa. Mais il n'y a rien à faire, impossible de ne pas me l'imaginer en sadique en train d'étriper à tout va avec son grand couteau de cuisine bien affûté. Dois-je composer le 112 de mon portable pour prévenir immédiatement police secours et les informer de l'identité de l'éventreuse d'Arras ? Mais si je faisais fausse route ? Si elle était inoffensive ?
- Je suis désolé, je sors de la douche, je ne peux pas vous ouvrir. Je passerai la chercher tout à l'heure !
- Venez vers 18h00, on prendra l'apéritif et on papotera !
Cause toujours tu m'intéresses, comme le répétait toujours bonne maman Valentine.
- J'y serai sans faute ! Bon après-midi !
Pas question que je commette les mêmes stupides erreurs que Charlotte.
Je ne suis pas superstitieux mais deux précautions valent mieux qu'une, ainsi que le disait tonton Arthur.

Retour à ma rédaction, au moins le temps passe vite lorsque j'écris.
Alors que dire de ce dernier Jacques Expert ? Qu'il m'a un peu déçu.
Attention, ça n'est pas un mauvais roman non plus. Mais je l'ai trouvé beaucoup trop linéaire.
Je ne me suis pas le moins du monde attaché à Charlotte, parce que malgré tout le travail psychologique effectué autour du personnage, elle mérite une bonne paire de claques de par la succession de ses actions stupides. En même temps, si comme moi elle était restée toute la journée dans son appartement, le lecteur se serait ennuyé et il fallait bien la faire sortir de ce huis-clos. Mais on n'attend pas le jour d'une prophétie pour commencer à la prendre au sérieux au point de se méfier de chaque voisin, de chaque connaissance, et se laisser totalement dominer par la paranoïa. Elle avait tout le temps de commencer à y croire avant ce dimanche 28 octobre. C'est trop soudain et au final on s'amuse simplement de ses déboires à défaut de trop y croire.
Mais pendant 300 pages, mis à part le compte à rebours, ce sont encore et toujours les mêmes choses qui sont assenées au lecteur :
- Oh, mon Dieu, au-secours, un tueur est à mes trousses ! ( Charlotte )
- Je me rapproche de ma proie que je vais tuer aujourd'hui ( l'assassin )
- L'assassin et Jérôme ne font-ils qu'un ? ( le lecteur )
Et avec des variantes, des doutes, des changements de lieu ... peu importe, ce schéma est trop récurrent et on finit par trouver le temps long même si le roman en lui-même est relativement court.
La quatrième de couverture promet des retournements de situation à foison, eh bien il faut être extrêmement patient avant d'être vaguement pris au dépourvu.

19H45
Désolé, j'ai eu une panne d'électricité.
Hors de question pour moi de toucher au disjoncteur ni de rouvrir mes volets. Ce serait tracer un chemin pour l'assassin ou pour provoquer un quelconque incident électrique.
J'ai vu tous les films de la série Destination finale, quand la mort reprend son du par les détours les plus improbables.
Ca n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces, scandait toujours parrain Moïse.
J'ai préféré allumer des bougies, et garder un oeil dessus en mangeant dans un grand saladier un reste de pâtes froides.
Hélas je ne me rappelais plus que j'avais déplacé une chaise pour bloquer ma porte d'entrée, et en me cognant, le plat vide m'a échappé des mains, le verre a éclaté en mille morceaux.
A ce moment là la lumière est revenue, j'ai donc pu ramasser et jeter les débris, non sans me couper à la main droite. J'ai consciencieusement nettoyé la plaie, mis un pansement : Plus de peur que de mal.
Ni l'étripeur d'Arras ni un incident domestique n'auront raison de moi ce soir.

Où en étais-je ?
J'ai également été déçu par les rebondissements réservés par par l'auteur pour son grand final.
A la fois parce que le petit indice que m'a laissé Jacques Expert himself quand je l'ai rencontré fin mars au salon du polar de Lens était de trop. Raison pour laquelle je le cache ci-dessous.

Et puis, ça n'est pas la première fois que je termine un Jacques Expert avec un sentiment d'inachevé.
Le livre a une fin, mais pour ma part je n'ai pas eu de réponses à deux des questions essentielles que je me suis posées quasiment tout au long de ma lecture.
Condensé en longue nouvelle, j'aurais pris bien plus de plaisir à la lecture de cette histoire qui repose sur une idée originale, mais qui n'a aucun impact au niveau de la réflexion du lecteur, là où Sauvez-moi posait de vrais questions sur l'équité de la justice en France et où Adieu s'interrogeait sur l'obstination des enquêteurs à boucler une affaire criminelle.
Le jour de ma mort reste ni plus ni moins qu'un simple divertissement qui nous fait renouer avec le style si particulier de Jacques Expert, qui nous fait à nouveau entrer dans la tête de criminels avec son ton pince-sans-rire, ou dans celle de potentielles victimes naïves et horripilantes.
Avec une volontaire nonchalance.
Parce que malgré la linéarité et le manque de réelle substance, la lecture est facile et je dois bien avouer qu'on a envie de connaître le fin mot de toute cette histoire, ce qui nous pousse à tourner les pages jusqu'à la dernière.

22h00
Finalement c'était bien des bêtises ces prophéties.
Je vais donner sa souris à Choupette, me brosser les dents et comme je suis exténué je devrais m'endormir facilement.
Demain, je pourrai oublier cette journée cauchemardesque.

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LA VOIX DU NORD - 07 Mai 2019
Faits divers
Un gigantesque incendie s'est déclaré à Arras hier soir à proximité de la citadelle.
Selon les premiers retours des experts, le feu se serait déclenché au troisième étage de la résidence S. avant de s'étendre à l'ensemble de l'immeuble.
Les pompiers sont intervenus vers 23h45 et sont parvenus à juguler l'incendie et à secourir Madame O. , âgée de 83 ans.
Une seule victime est à déplorer. Il s'agit de Monsieur A. L'incendie se serait déclaré dans son appartement, au troisième étage.
Une bougie encore allumée serait tombée, mettant le feu à un roman de Jacques Expert avant de s'étendre à toute la bibliothèque et de se propager aux autres pièces.
Une autopsie sera pratiquée sur le corps carbonisé de Monsieur A. afin de déterminer comment les restes noircis d'un python ont pu se retrouver lovés dans son ventre.

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