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Critique de AlbanPraq


Disons le tout de go, faire la rencontre de Léon-Paul Fargue, c'est se sustenter d'un précipité disparu de littérature pure. En 39 chroniques écrites dans le Paris occupé de 1942, Léon-Paul Fargue illumine le lecteur d'une prose qui brille d'un éclat qui n'est donc pas réservé au vers rimé !

Fargue hisse à bout de plume la chronique aux altitudes du poème en prose, là où l'oxygène se raréfie même pour les plus habiles stylistes. Quel que soit son sujet, Fargue excelle avec un mélange de désinvolture appliquée, de désuétude touchante, de rire en coin qui protège du tragique. Touche-à-tout brillant, l'auteur nous entretient de poésie, de Mallarmé, de géographie, de ce « paludisme particulier » qu'est la mélancolie, du rapport entre Art et Artisanat, du choix des « grands mots », de la flânerie comme nécessité vitale, des vertus de la confiance ou encore du géant Victor Hugo, « honneur de la profession », monstrueux précurseur « à l'origine d'une grande partie de la littérature contemporaine », « traceur de sentiers dans la nuit ».

Lire Fargue, c'est entendre la musique d'un magicien du style, d'un prestidigitateur de la formule, d'un jongleur de métaphore. Il ressuscite des noms, braque les projecteurs sur des lieux, trousse des pelotes d'idées que l'on se plait encore à démêler en 2021 : de l'impossible recherche du silence – « le monde n'est, au fond, qu'un bruit qui s'enfle » - à la dénonciation des beaux parleurs éthérés, « les révolutionnaires de bar, les buveurs de sang aux tempéraments de yogourth, les idiotes de petits théâtres », qui prennent la parole à tort et à travers sans prendre conscience que les « grands mots vous ont toujours comme une odeur de délire ».

Fargue est aussi un formidable portraitiste de la vie parisienne. Comment ne pas citer ces quelques lignes croquant avec génie et filouterie le peintre Ernst Meissonier : « c'était un petit homme aux trois pouces de jambes et le derrière tout de suite. Mais il était pourvu d'une barbe interminable, toute en croissants multipliés, qui dévalait de ses maxillaires comme une nappe d'autel et déroulait un Niagara plein de cadavres de vieux déjeuners ».

Fargue, enfin, chronique pour se souvenir. Il nous donne dans ce recueil une floppée de grands petits textes qui signe l'articulation miraculeuse du rêve et du réel et constitue de précieux cailloux d'encre semés sur la route de la littérature et de la vie : « Il me souvient d'une rue dans un décor de ma jeunesse. Il pleuvait doucement. C'était le soir. Il y avait dans la lanterne carrée d'un vieux bec de gaz, un papillon jaune et violet qui faisait entendre un nasonnement de moustique avant de mourir. Il semblait que tout fût prêt à vous quitter, à s'effacer dans une nuée d'eau et de tristesse. »

Il faut lire Léon-Paul Fargue, sa justesse de ton – rien dans ces 160 pages ne ressemble à un « clair de lune empaillé » - autant que sa virtuosité cristalline constituent les promesses tenues d'un agent trop secret des lettres qui nous parle pourtant au coeur, aux tripes et au cerveau et nous convainc depuis cette funeste année 1942 qu'il est permis de revendiquer le « droit de vivre, le droit d'avoir les mains nettes et la tête haute, le droit de reprendre confiance ».
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