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Critique de YvesParis


On parle peu de l'Afrique précoloniale. Les écoles historiques, notamment est-européennes, qui se sont penchées sur elle au lendemain de l'indépendance, ont disparu. Raison de plus pour saluer à sa juste valeur l'ouvrage de l'historien et archéologue François-Xavier Fauvelle-Aymar luxueusement illustré par une riche iconographie. Il relève le défi de rendre accessible aux non-spécialistes un matériau savant, principal projet de l'ouvrage : des comptes rendus de fouilles en Éthiopie, la stratigraphie d'un site swahili, l'épigraphie d'une stèle chinoise, l'analyse d'une mosaïque nubienne, d'un atlas marocain…
On sait peu de choses du Moyen Âge africain, une période que l'auteur intercale entre le VIIIe siècle, où l'Afrique se connecte à l'islam, et le XVe siècle, où elle est « découverte » par les Portugais. L'historien Raymond Mauny parlait de « siècles obscurs » tant les sources manquent à son sujet. Évoquant les trésors de Debre Damo, un monastère situé dans le nord de l'Éthiopie, Fauvelle-Aymar reconnaît avec une belle humilité : « Nous sommes condamnés à ressasser les maigres observations qui nous sont parvenues, pièces éparses et incomplètes d'un puzzle dont nous ne savons pas du reste de quoi il consiste. »
Même si l'Afrique n'ignorait pas l'écriture, la production d'archives ne s'y généralise que tardivement. L'historien doit donc utiliser d'autres sources : les sources orales porteuses d'une tradition millénaire, les sources archéologiques, qui n'ont hélas guère résisté dans les zones humides de l'Équateur – ce qui explique que la carte des lieux les plus connus décrit un vaste croissant qui, de la Mauritanie à la côte swahilie, en passant par le Sahara et l'Éthiopie, ignore largement l'Afrique de la forêt.
La maigreur des sources ne laisse au savant d'autres solutions que de multiplier les hypothèses. Dans l'Afrique du Moyen Âge, la recherche s'apparente souvent à une enquête policière dont certains mystères ne sont pas encore élucidés. le constat d'une « histoire incomplète, consentante aux découvertes encore à faire et aux transformations de sens » peut parfois laisser passer un sentiment de frustration. Ainsi, on n'a toujours pas localisé la capitale du Ghâna, ce royaume sahélien situé aux frontières de la Mauritanie et du Mali – dont le nom fut emprunté par la Gold Coast en 1958. On ignore si le petit rhinocéros d'or retrouvé sur les bords du Limpopo, à la frontière de l'actuelle Afrique du Sud et du Zimbabwe, a été importé d'Asie (il ne possède qu'une seule corne) ou fabriqué sur place.
La rareté des sources internes oblige à privilégier les sources externes. Il s'agit beaucoup moins de sources européennes – l'ouvrage n'en cite quasiment aucune – que de sources arabes, voire chinoises. Et c'est là l'enseignement principal de ce livre : c'est grâce au « pouvoir d'interconnexion du monde islamique » que l'Afrique est entrée de plain-pied dans la mondialisation, exportant de l'or et des esclaves, important du sel et des étoffes, de l'Europe jusqu'à la Chine. La prépondérance de ces sources arabes conduit aussi hélas à une distorsion : l'Afrique médiévale décrite par Fauvelle-Aymar est pour l'essentiel une Afrique vue par les yeux des voyageurs arabes.
L'auteur a l'humilité de reconnaître le caractère fragmentaire de sa documentation. À la « grande fresque narrative » brossant sur près d'un millénaire le récit fantasmé d'une Histoire du Moyen Âge africain, il a l'humilité de préférer le « vitrail » kaléidoscopique constitué de trente-quatre Histoires (au pluriel) du Moyen Âge africain. Ces trente-quatre courts récits forment un tableau impressionniste d'un continent connecté au reste du monde par le commerce, aux antipodes de l'image caricaturale d'une Afrique « éternelle », de l'Afrique des « tribus », de l'Afrique « miroir des origines », et qui n'a pas attendu que l'Europe le découvre pour entrer dans l'Histoire.

Cette critique a été publiée dans le numéro 246 de la revue "Afrique contemporaine" de l'AFD
Lien : http://www.cairn.info/revue-..
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