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Critique de Luniver


La fin du monde était proche : les vallées allaient bientôt être englouties sous des trombes d'eau. Seul un petit groupe d'élus allait échapper à la catastrophe, sauvé par une soucoupe volante. Malheureusement, la soucoupe n'est jamais venue. Ce qui n'était finalement pas si grave, puisque l'inondation tant crainte non plus. Les membres du groupe allaient-ils rentrer chez eux la queue entre les jambes, en tentant d'éviter les moqueurs ? La thèse des auteurs est qu'au contraire, ces gens allaient faire tout l'inverse et devenir d'ardents prosélytes de leur croyance.

L'auteur s'appuie sur des témoignages historiques pour construire son propos : l'épopée du « prophète » juif Sabbataï Zevi, des branches protestantes qui ont continué de croître malgré l'inexactitude de leurs prévisions, … ou plus proche de nous, les témoins de Jehovah, qui malgré quatre fins du monde annoncées en moins d'un siècle, continuent d'afficher une solide santé dans le nombre des conversions.

L'explication de ce phénomène se trouverait du côté de la dissonance cognitive : nous sommes souvent confrontés à des contradictions, entre des idées et/ou des faits, qui nous sont plutôt déplaisantes ; il nous faut donc réduire cette dissonance pour que le sentiment de malaise se dissipe. Plusieurs stratégies sont possibles, illustrées par l'exemple typique de la personne qui s'est convaincue de faire un régime, confrontée à un gâteau au chocolat particulièrement appétissant :
1) changer une idée : ici, renoncer au gâteau pour sauver son régime ;
2) ajouter de nouvelles idées pour augmenter la consonance : par exemple, se souvenir de l'article très pertinent et tout à fait approprié au cas que vous vivez, qui précise que l'important pour tenir un régime est de savoir aussi se faire plaisir de temps en temps. En ajoutant cette nouvelle règle dans le jeu de pensée, il est désormais possible de continuer à faire régime ET manger du gâteau au chocolat : la contradiction initial disparaît, le malaise aussi ;
3) Réduire l'importance des idées contradictoires : ces histoires de régime et d'alimentation saine, c'est surtout commercial et il y a des choses beaucoup plus importantes dans la vie.

Ce qui prête à sourire dans le cas du régime devient tout de suite beaucoup plus dramatique dans le cas des fausses apocalypses. Les croyants se sont énormément investis dans l'événement : abandon de son travail, de ses amis, de sa famille, vente de tout son patrimoine pour les besoins du groupe, changement radical de style de vie, etc., et doivent tout de même vivre avec un fait incontestable en totale contradiction avec leur croyance : il ne s'est strictement rien passé. La troisième solution est rapidement éliminée, et la première est particulièrement cruelle : devoir subir les moqueries et les « Je te l'avais bien dit » de l'entourage, accepter l'idée qu'on a gaspillé toutes ses ressources pour rien, retourner fermer des boîtes de conserve alors qu'on était prêt à goûter les joies du Paradis, … Si cet état de fait est trop difficile à supporter, il ne reste plus qu'à rationaliser l'échec, et trouver des explications au non-événement, forcément très bancales, même aux yeux des disciples les plus enthousiastes. Mais « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge, mais répété 10 000 fois, il devient une vérité » : on assiste alors à une véritable fuite en avant des adeptes, qui deviennent prosélytes plus pour se convaincre eux-même que pour convaincre les autres : si tout le monde autour de vous pense que l'argument se tient, vous pouvez l'accepter vous-même avec plus de sérénité.

L'enquête proposée par les auteurs me laisse en partie insatisfait. du côté positif, on peut souligner que le petit nombre de participants à cette secte permet de pouvoir vivre au jour le jour l'évolution de la conviction de ses membres, et leurs réactions « à chaud » quand les premières désillusions arrivent. On peut aussi remarquer que leurs réactions vont clairement dans le sens des idées des auteurs : des membres n'hésitent pas à déclarer explicitement « Il faut que ça soit vrai, sinon j'ai tout perdu », et on observe en effet une explosion de prosélytisme (bien qu'assez courte) une fois la prophétie définitivement enterrée.

Côté négatif, on peut citer une question éthique : les auteurs ont du envoyer jusqu'à 4 observateurs pour être certains de capturer tous les moments importants. Dans un groupe d'une dizaine de personne, ça me semble beaucoup. D'autant que pour entrer dans le cercle, certains ont du inventer des rêves, ou des sentiments, qui venaient confirmer les thèses du groupe et ces « confirmations indépendantes » les encourageaient à poursuivre leurs travaux. On peut se demander si le groupe aurait été aussi loin sans les observateurs.
Et enfin, les thèses du groupe sont un tel mélange de connaissances ésotériques (soucoupe volante, réincarnation, millénarisme, chakras, énergie spirituelle, écriture automatique, méditation, …) qu'on a parfois l'impression d'être juste là pour pouvoir se moquer d'eux. L'écueil était sans doute difficile à éviter, mais j'avais souvent l'impression qu'on détaillait trop les thèses du groupe sans que ça n'apporte quoi que ce soit dans l'étude.

L'essai est tout de même intéressant pour comprendre comment les mécanismes de réduction des dissonances se mettent en place. le groupe visé est suffisamment exotique pour pouvoir les étudier sans trop se sentir visé au départ. Mais il ne faut pas se faire d'illusion : chacun est capable de s'enfermer dans un projet ruineux, ou une relation sentimentale désastreuse, avec exactement les mêmes types de raisonnement.
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