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Critique de transat


J'ai voulu lire "Tom Jones" (1749) parce que c'est un grand classique anglais. Je ne me doutais pas que j'allais un peu peiner. Après de longues semaines passées sur ce roman, plusieurs arrêts en cours de lecture, quelques moments où j'ai hésité à poursuivre, des tâtonnements dans ma manière de lire pour essayer tout de même d'aller jusqu'au bout… j'ai enfin terminé, et je me dis que j'ai bien fait de persévérer.

Certes, mille pages, c'est long quand le narrateur prend ses aises et avances à pas de tortue; certes, l'humour a changé en deux siècles, de même que les moeurs, et il faut un certain intérêt historique et littéraire pour apprécier aujourd'hui bien des traits, bien des réflexions que propose ce roman. Mais comme je suis un lecteur débonnaire (en particulier face à tout livre qui a vaillamment passé les siècles sans tomber aux oubliettes comme la plupart de ses camarades), je m'efforce toujours d'accepter les règles internes à une oeuvre dans l'espoir d'en goûter le plus possible la saveur. S'agissant de "Tom Jones", une fois les règles comprises et acceptées, le plaisir a été grand: plaisir, d'abord, face à un narrateur omniprésent, qui, comme d'autres à son époque, joue avec son propre rôle pour interroger les liens entre fiction et réalité, instance narrative et événements racontés. Mais ce n'est pas le plus important. Le grand plaisir est venu du souffle de liberté morale que respirent ces pages: Fielding crée un héros jeune et beau entraîné vers les femmes par la force de son désir. Sa liberté sexuelle souffre peu d'entraves, mais la pureté de son amour pour la seule femme qui occupe son coeur n'est jamais remise en cause. Au contraire d'autres héros de romans de la même époque, notamment français, il joue avec son corps mais ne joue pas avec son coeur, et en cela, ne peut être taxé de libertinage, ce que ne manquent pourtant pas de faire – on s'en doute – son entourage et le monde, faussement prudes. C'est là, il me semble, le propos essentiel de "Tom Jones": la vertu n'est pas là où l'on pense, le vice n'est pas ce que le monde en dit; cela – c'est important – y compris dans la vie sexuelle: notamment, on peut rester fidèle à l'être aimé tout en laissant une certaine marge à son désir pour d'autres. La question n'est toujours pas réglée, parlez-en avec vos amis! Bien sûr, on lit un roman du XVIIIe siècle: Fielding n'outrepasse pas certaines limites. Mais ses réflexions placées en tête de chacun des livres qui constituent le roman ou au fil de l'histoire disent clairement sa posture morale dégagée des convenances, sa morale de précurseur, et son affection pour son ardent héros ressort à chaque page du livre.

Ainsi, la liberté de ton réjouissante (accompagnée parfois d'une certaine verdeur du langage), la sympathie qu'on éprouve pour Tom et Sophie, sa dulcinée, la drôlerie de certaines scènes et dialogues, des personnages hauts en couleurs (Partridge, Lady Bellaston), ont fini par l'emporter sur les longueurs. Et puis, dès que l'action se transporte à Londres, tout va plus vite, tout s'enchaîne, et l'on avance vers la fin avec de plus en plus de curiosité.

Un mot encore sur la traduction de Francis Ledoux, décriée dans une des rares critiques portant sur ce livre, sur Babelio: on y trouve en effet des phrases étrangement tournées, voire non terminées. Mais il me semble que la critique en question va bien trop loin. Je suis très exigeant sur la langue, un style négligé peut m'horripiler: rien de tout cela dans cette traduction, agréable, et lue, de surcroît, sur le beau papier crème d'une Pléiade imprimée dans les années soixante.
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