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Critique de Aquilon62


Elpino : Comment est-il possible que l'univers soit infini ?
Filoteo : Comment est-il possible que l'univers soit fini ?
(L'infinito, universo, e mondi (De l'infini, de l'univers et des mondes) - Giordano Bruno)

Serge Filippini réussit avec maestria le pari de nous faire revivre sous une forme romancée, les 6 derniers jours, avant le bûcher de Giordano Bruno.
Du jeudi 10 février 1600 au mercredi 10 fevrier 1600, passées les premières réactions suite à décision du tribunal de l'inquisition, Giordano Bruno se voit remettre de l'encre et du papier pour résumer sa vie.

Alors voilà 6 bonnes raisons de livre ce livre :

- l'introduction de Franck Bouysse, qui exprime sa rencontre avec ce livre et avec Giordano Bruno:
"Même derrière des barreaux et sous une voûte de pierres noircies de crasse, Giordano Bruno demeura citoyen de l'univers, d'un grand Tout, sans murs ni cloisons, un grand Tout fait d'amour, d'art et de beauté. Telle fut sa vérité. « Une vérité qui ne rejoint pas la beauté est une vérité fausse. »"

- Pour l'écriture de l'auteur érudite, sublime, qui sait se faire savante ou émouvante, selon les moments de la vie de Giordano Bruno, qu'elle évoque :
" Pour la première fois j'ai écrit aujourd'hui sans volonté de rien construire. Les mots voués à l'oubli qu'a tracés ma misérable plume ressemblent à des pierres soulevées le long d'un chemin, et dont chacune cachait sa brassée d'accidents, de circonstances, de hasards et de visages – et Dieu que je les aime, ces circonstances ! Qu'ils me sont chers, ce soir, ces visages ! Est-ce la proximité de la mort qui aiguillonne ainsi la réminiscence ? À la fin de ma vie, ma vie se manifeste et fait entendre une clameur, une noise que je ne puis endiguer. Et je sais que le sommeil, s'il vient, ne me sera d'aucun réconfort – car en lui l'univers continue de tramer ses mystères."

- pour ces traces indélébiles que l'écriture laissent en nous, les descriptions que fait Serge Filippini de la ferveur intellectuelle de Bruno sont saisissantes. La recherche d'une langue vraie pour dire l'univers est vigoureusement mise en scène dans le monastère de San Domenico Maggiore, où le héros quitte le prénom de Filippo pour celui de Giordano
et enfile la robe brune que recélait peut-être son patronyme.

- Pour le caractère même du live : sont-ce des mémoires apocryphes ? Est-ce un roman historique ? Est-ce une biographie historique ? Voire les 3 à la fois ? A chaque lecteur de se faire sa propre opinion..

- Parce que Giordano Bruno ? Qui le connaît ? Méconnu, Giordano Bruno, philosophe et cosmologue italien, c'est pourtant lui qui dépassa la révolution philosophique et scientifique amorcée par Nicolas Copernic et paya de sa vie en osant penser l'infini…
Souhaitant étancher cette soif de connaissances et se former à l'art de l'éloquence, il décida de prendre l'habit, les monastères représentant alors les lieux de culture par excellence. Il se forgea ainsi une double culture, humaniste en se confrontant aux textes des Anciens (philosophes grecs et romains) et religieuse en entrant au couvant des Dominicains de San Domenico Maggiore,
Ordonné prêtre, il devient docteur en théologie. Ces études au sein du monastère lui permirent d'étancher sa curiosité et de se familiariser avec une notion qui l'intriguait, celle d'illimité ou d'infini qu'il avait trouvé chez Nicolas de Cusa, cardinal et évêque allemand du XVème siècle épris de philosophie, de mathématiques et d'astronomie, mais aussi auprès de Nicolas Copernic.
Mais pour échapper à ce carcan austère, à des premières accusations d'hérésie commence une vie de "fuites" ou "d'errances".
Ce sera Rome, Chambéry puis à Genève, la calviniste, Toulouse, Paris, l'Angleterre, l'Allemagne luthérienne, Prague, Francfort et enfin Venise. Où il sera séquestré par celui qui l'avait fait venir, qui déposa même à l'inquisition vénitienne une dénonciation dont voici la lettre :
"Je, Zuan Mocenigo, fils du Seigneur Marco Antonio Mocenigo, demeurant près San Samuele, déclare, sous le commandement de ma conscience & sur ordre de mon confesseur, avoir entendu dire par Giordano Bruno Nolano, tandis que nous nous entretenions chez moi de philosophie & de théologie : que c'est grand blasphème de la part des catholiques de prétendre qu'il y a transsubstantiation du pain en chair ; qu'il est, lui, l'ennemi de la Messe ; qu'aucune religion ne lui plaît ; qu'il attend de l'actuel roi de France qu'il réforme enfin les religions ; que notre Foi catholique est pleine de blasphèmes contre la Majesté de Dieu ; que nous ne possédons aucune preuve que notre Foi est celle voulue par Dieu ; qu'il faut interdire aux frères les disputes car elles rendent les gens idiots ; que les frères sont tous des ânes ; que nos opinions sont doctrines d'ânes ; qu'il s'étonne que Dieu continue d'endurer les hérésies des catholiques ; que saint Thomas & autres docteurs ne savent rien ; que lui sait tout & qu'il leur clouera le bec.
Il a dit aussi : que Christ Notre-Seigneur était un triste sire ; qu'au lieu de séduire le peuple avec Ses fourberies, Il eût mieux fait de prévoir qu'Il serait pendu ; qu'il n'existe pas en Dieu de distinction de personnes, car ce serait là imperfection de Dieu ; que les miracles de Christ étaient illusions & Lui un mage ; que Christ point ne fut heureux de mourir ; qu'Il eût échappé à ce sort s'Il avait pu le faire ; qu'il est impossible que la Vierge ait enfanté, car point n'enfante une vierge.
Il a dit : que pour bien vivre il suffit de ne point faire aux autres ce que vous ne voulez pas qu'ils vous fassent ; qu'il se moque de tous les autres péchés ; que d'ailleurs point ne seront punis les péchés ; que les âmes créées par la nature passent d'un animal à l'autre ; que le monde est éternel & qu'il y a une infinité de mondes ; que Dieu en crée chaque jour de nouveaux car il Lui plaît d'agir ainsi ; qu'il connaît & pratique l'art divinatoire ; qu'il a été en Allemagne chef de secte ; qu'il aime les garçons ; qu'il ne sera pas toujours pauvre car il aime aussi les richesses, auxquelles il a goûté en pays hérétiques.
Il m'a dit enfin avoir eu affaire à l'Inquisition à Naples pour hérésie, à Rome à cause d'un prêtre qu'il a expédié près le Tibre, & à Toulouse à cause de sa doctrine ; qu'il ne craint pas l'Inquisition, car ce sont des ânes ; qu'il leur clouera le bec à eux aussi ; que la Sérénissime est une République libre & sage ; qu'elle le protège comme grand philosophe.
Que faisait cet homme-là chez vous ? me demandera-t-on. Je l'ai accueilli dans ma maison pour qu'il m'enseigne les prétendues merveilles de sa philosophie. J'ignorais alors qu'il fût un aussi méchant personnage. Aujourd'hui je le tiens pour enragé & possédé du démon. Que le Très Révérend Père Inquisiteur me permette de lui adresser également trois livres imprimés par ledit Bruno. Dans l'un d'eux, il est question de magie & de certaines choses qui m'échappent pour le moment, mais qui sûrement…"

- et enfin car Giordano, c'est avant tout l'histoire d'un précurseur et, comme tous les précurseurs, d'un incompris. tout se résume dans ses mots, écrits dans un de ses ouvrages, prémonitoires ?
"Ce ne seront point, ô Filoteo, les rumeurs de la foule, l'indignation du vulgaire, les protestations des idiots, le mépris de tel ou tel satrape, la stupidité des insensés, l'idiotie des cuistres, les affirmations des menteurs, les plaintes des méchants et la détraction des envieux qui me priveront de ta noble vue et me soustrairont à ta divine conversation. Persévère, cher Filoteo, persévère ; ne te décourage pas et ne recule pas sous prétexte qu'avec le secours de multiples machinations et artifices le grand et solennel sénat de la sotte ignorance menace et tente de détruire ta divine entreprise et ton grandiose travail. Et sois assuré qu'à la fin ils verront tous ce que je vois."
(L'infinito, universo, e mondi (De l'infini, de l'univers et des mondes) - Giordano Bruno)
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