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Critique de Alfaric


Je savais qu'avec la trilogie de Catherine Fisher j'allais avoir droit à de l'Antiquité Fantasy de bon aloi, mais je n'attendais pas à passer un aussi bon moment (tellement bon d'ailleurs que j'ai dérogé à ma règle de ne pas évaluer un ouvrage destiné à un public cible auquel je n'appartiens plus ^^)…


Le roman débute par une scène marquante : la petite prêtresse Mirany, nouvellement intronisée Porteuse du Dieu, doit transporter du temple au palais un plat rempli de scorpions… Elle doit veiller à ce que chacun d'entre eux reste au fond de celui-ci, alors qu'au moindre faux mouvement l'un d'entre eux peut accéder aux rebords, grimper sur ses bras et lui infliger une piqûre mortelle… Et à la fin de son chemin de mort elle apporte la mort au roi-dieu qu'on a forcé au suicide, et avant de se sacrifier pour son pays victime d'une sécheresse mortelle il lui confie le soin de sauver son peuple.
Le suspens y était excellent suspens, et cela continue par suite puisque on assiste à une course contre la montre entre les usurpateurs aristocratiques et les rebelles loyalistes pour retrouver le véritable Archonte, chaque chapitre étant une étape des cérémonies funéraires de l'ancien Archonte qui sont autant d'étapes du compte à rebours avant l'intronisation du nouvel Archonte (avec en plus une bonne vieille chasse au traître des familles ^^). Ah ça, on est bien immergé dans l'univers et on prend vite le chemin du page-turner !
Alors certes cet univers est limité car dans un ouvrage Young Adult le worbuilding n'est jamais très élaboré, mais il véritablement inspiré de l'Antiquité, et c'est peut-être ce qui m'a le plus plu dans le roman… On est à mi chemin entre la Grèce et l'Orient, donc on est dans un royaume hellénistique qui s'inspire sans aucun doute de l'Egypte lagide. L'histoire se déroulerait à Alexandrie qu'elle n'aurait sans doute guère été différente, du coup on se retrouve avec l'univers de la série "Papyrus" de Lucien de Gieter mais en beaucoup mieux !

Comme bon nombre de productions populaires de ces dernières années cette trilogie est antisystème : faut-il en être surpris quand les élites mondialisées se foutent de la gueule des peuples du monde entier chaque jour qui passe ???
L'aristocratie est pourrie de thunes, mais elle en veut plus, plus, encore plus, et ici elle fait main basse sur l'armée et le clergé avant de se débarrasser de leur roi et de leur dieu pour pouvoir continuer tranquillement ses petits games of thrones à la con… (ben oui, il ne faudrait pas qu'un souverain populares, réformateur, ou pire révolutionnaire, vienne confisquer leurs jouets ! MDM)
C'est significatif que l'Archonte humaniste, le dépositaire de ses dernières volontés et celle par qui tout va changer viennent tous les trois de la petite île de Mylos dans les Heklades… Alter ego de Mélos dans les Cyclades, cette petite île qui n'avait rien demandé à personne avant que les Athéniens impérialistes et suprématistes ne viennent leur imposer leur vision de la démocratie en leur maravant le gueule à grand coup de loi du plus fort…

Les personnages sont sympas : la jeune prêtresse Mirany doute en permanence d'elle-même, de sa mission, de sa foi (on est loin des béni oui-oui yankees), le jeune scribe Seth doute en permanence de ses propres choix lui qui s'est tourné vers la pègre pour mettre sa famille à l'abri, et ils sont chaperonnés par Oblek un chanteur obèse et alcoolique qui s'avère être un artiste d'exception certes, mais d'abord et surtout un patriote loyal jusqu'à la mort tant à son roi qu'à son dieu. Ce dernier a clairement plus d'un tour dans son sac, surprenant régulièrement tout son monde, et il est prêt à l'ultime sacrifice pour donner à son pays d'adoption une chance de survivre à la tyrannie ploutocratique ! (les néocos athéniens ont toujours craché sur les étrangers qui selon eux vérolaient l'« identité nationale » : quand la cité était en danger elle a toujours pu compter sur leur patriotisme, par contre les néocons on les a eux souvent retrouvés dans la tyrannie, la trahison et la collaboration…)
La sororité à laquelle appartient Mirany est elle-même intéressante : on n'est pas loin des porteurs de peplos d'Athènes, mais les gentilles ne sont pas forcément gentilles et les méchantes ne sont pas forcément méchantes… Mieux, les filles hautaines sont peut-être des personnes hautement conscients de leurs responsabilités trompées et manipulées par une grosse crevarde… (d'ailleurs j'ai trouvé que la leur hiérarchie n'était pas très éloignée de celle du culte de Mithra… un hasard sûrement ^^)
Et cerise sur le gâteau, pour une fois les romances adolescentes à l'eau de rose ne viennent pas pourrir le récit ! ^^

La thématique de la divinité est très élaborée, et assez élégante : la cosmogonie de Catherine Fisher ressemble ici à celle de N. K. Jemisin dans "La Trilogie de l'héritage", donc j'imagine que ces deux auteurs ont pioché aux mêmes sources mythologiques africaines… le dieu est double, à la fois ombre et lumière, et ses deux facettes s'incarnent dans l'humanité : le dieu est à la fois la surface du pays et l'Archonte qui vit les fastes de la cour, et le sous-sol du pays et le double de l'Archonte qui vit dans l'obscurité et le silence des catacombes… le Dieu est ainsi tant le Pays en son entier que ses vaisseaux de chair, qui voient cohabiter à chaque incarnation leurs souvenirs d'humains avec la multitude d'incarnations du dieu… C'est parfois assez bluffant, et source de dialogues ambigus où les divers protagonistes ne savent plus s'ils s'adressent à être humain où à un être divin… ^^
Les dieux rêvent aussi, et dans ce récit ils rêvent d’un monde sans haine ni violence, ni mépris ni indifférence… Mais la fin de ce tome 1 est ouverte, et pas nécessairement optimiste car puissantes sont les forces obscures de la crevardise…
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