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Critique de Antyryia



Dès que j'en ai la possibilité, je rapproche mes critiques d'une anecdote personnelle à laquelle le roman m'a fait penser.
Je n'avais pas prévu de me livrer davantage, mais L'échange de Rebecca Fleet est un livre qui m'a parlé comme rarement, au point de m'identifier totalement à un personnage, de revivre des souvenirs teintés tant de bonheur que de souffrance.
Je ne peux donc pas parler avec beaucoup d'objectivité de ce roman qui m'a profondément ému, qui a même humidifié mes yeux parfois, parce qu'il ne fera pas obligatoirement remonter à la surface votre propre passé sentimental.

J'étais très sceptique en commençant ce roman. J'ai lu l'année dernière Echange fatal de Siobhàn MacDonald dont le thème, très original, était un échange de maison entre deux couples et leurs enfants, qui va bien sûr tourner au drame.
J'ai trouvé beaucoup moins inspiré de voir aussi rapidement un second livre sur un sujet en tous points similaires. Caroline et son époux Francis échangent pour une semaine leur maison de Leeds contre une demeure dans la banlieue de Londres appartenant à S. Kennedy. Ces congés sont censés leur permettre de se retrouver, de recoller les morceaux de leur couple déchiré après des erreurs commises des deux côtés.
"La famille qu'on a essayé de construire est en train de se casser la figure et je ne sais pas comment arranger les choses."
Mais hormis le point de départ, les deux oeuvres ne présentent que peu de similitudes et proposent des histoires très différentes.

Le roman de Rebecca Fleet ne se focalise quasiment que sur les personnages de Caroline et de Francis, qu'on va suivre par alternance dans leur passé trouble ou lors de leur semaine de tentative de réconciliation. Pendant ce temps, un mystérieux individu occupe donc leur propre maison, fouillant partout, lisant le carnet intime de Caroline, se connectant sur son compte facebook.
Qui est-il ? Et d'où vient cette animosité manifeste envers son hôtesse ?

La demeure qui attend Caroline et son époux leur réserve quelques surprises. Elle est en effet particulièrement spartiate.
"La froideur anonyme de cet endroit me rappelle le décor d'un film d'horreur."
Pourtant, quelques objets disséminés dans différentes pièces semblent ne pas être là par hasard. Un cd, une photo, une odeur de parfum. Des petits détails qui paraîtraient anodins mais qui la ramènent tous à un passé récent, comme s'ils étaient disposés ici à son attention, pour lui adresser un message qu'elle ne sait comment interpréter. Et elle ne peut pas en parler à son époux, qui semble avoir retrouvé un peu d'énergie et vouloir s'impliquer dans cette excursion, dans leur nouveau départ. Ils ont d'ailleurs laissé Eddie, leur petit garçon, en compagnie de sa grand-mère pour mieux se retrouver tous les deux.
"Qui est ce monsieur qui nettoie la cuisine et me propose de m'emmener à une expo ?"
Enfin, que penser de cette voisine bavarde, envahissante, qui lui ressemble tellement, comme une version plus jeune et plus jolie d'elle-même ?
"Amber me fait penser à moi, deux ans plus tôt, et j'ai du mal à ignorer les similitudes entre nous, aussi subtiles soient-elles."

Quant à ce qu'il s'est passé deux ans plus tôt, ça nous est progressivement révélé afin de nous permettre de faire le lien avec cet échange qui, de toute évidence, ne doit rien au hasard.
A cette période, Francis était effacé, dépressif, irresponsable, antipathique.
Drogué aux pilules lui permettant de voir sa vie sous un jour un peu meilleur. Un mari fortement perturbé dormant le jour et vivant la nuit, n'exerçant quasiment plus sa profession de conseiller conjugal.
Et dans ces déplorables conditions, rien d'étonnant à ce que rien n'aille plus avec Caroline. Qui est la seule à s'occuper de leur fils.
"Tout s'accumule : les nuits blanches, les disputes, la froideur avec laquelle il me regarde, le vide."
"Ces derniers temps, c'est lorsqu'il est près de moi que je ressens le plus son absence."
Et rien de surprenant non plus à ce que Caroline, malheureuse et délaissée, se rapproche de Carl, un collègue beaucoup plus jeune qu'elle.
A chacun sa dépendance. Francis s'abandonnera aux narcotiques et Caroline aux bras d'un jeune homme qui lui prête l'attention qu'elle mérite.

Cette relation, qu'on suivra depuis les prémisses d'un désir interdit par une morale trop bien pensante, m'a ramené quelques années en arrière.
J'étais tombée sous le charme d'une collègue mariée et mère de famille, un peu plus âgée que moi, autant dire que je ne me faisais pas d'illusions. Et pourtant, on s'est rapproché progressivement, et à ma plus grande surprise les sentiments étaient réciproques.
Je n'ai appris que plus tard l'enfer qu'elle vivait chez elle au quotidien, cachée sous le masque de la normalité.

Alors que faire quand notre éducation nous dit qu'aller plus loin serait répréhensible ? Que cet amour sera impossible à vivre au grand jour ?
Nous n'avions ni l'un ni l'autre de mode d'emploi.
Alors on a tâtonné. Longtemps. Nous permettions à nos mains de se joindre parce que c'était innocent. Nous recherchions constamment la compagnie de l'autre, la voix, les écrits. Et puis il y a eu un premier baiser, des étreintes, de timides caresses. Mais il aura fallu plusieurs mois d'indécision, d'appréhension, de culpabilité, de retours en arrière avant de franchir le point de non retour. Le reste appartenant à la sphère privée.

Ainsi, plutôt que d'insister sur l'aspect trop romantique parfois du roman, j'ai davantage envie de dire à quel point la lente évolution de la tendre relation entre les deux amants est décrite avec justesse tant je me suis parfois reconnu dans le personnage de Carl. Quant à Caroline, lorsqu'elle partage ses pensées avec le lecteur, j'ai reconnu les pensées qu'avaient également cette femme que j'ai sincèrement aimée. Si j'avais mes doutes, les siens la tiraillaient davantage encore au vu de sa situation délicate, de sa peur d'être jugée pour avoir simplement voulu renouer avec un bonheur qui avait fui sa vie depuis beaucoup trop longtemps.
"L'idée d'être une femme adultère me paraît soudain ridicule. Ce n'est pas ce que je suis. Ce n'est pas l'impression que j'ai."
Et que penser de la réaction d'autrui, de ceux qui se permettent de juger une situation sans en connaître les causes ?
"On attend plutôt de moi que je me flagelle et que je souffre."
A vous de voir, peut-être grâce à ce roman, si Caroline ou n'importe quelle autre femme dans une situation un tant soit peu similaire doit se contenter de subir, si envisager d'être heureuse de nouveau est si condamnable.

Particulièrement perturbé par ces similitudes, j'en oublierais presque d'évoquer l'aspect thriller psychologique du roman.
Sans en faire des tonnes au niveau des retournements de situation, L'échange arrive pourtant à surprendre le lecteur à plusieurs reprises.
Il y a peut-être quelques exagérations parfois dans les attitudes et les réactions des personnages, mais au moins toutes les questions trouveront leurs réponses, et elles sont beaucoup plus nombreuses que ne le laisse suggérer le début du premier roman de Rebecca Fleet.
C'est un livre qui commence doucement, mais qui nous entraîne avec lui malgré tout grâce à sa plume agréable, et qui parvient à distiller progressivement le doute et l'angoisse avant que le rythme et les révélations ne s'accélèrent dans la seconde moitié de l'histoire.
Les réponses à vos questions ne seront pas toujours celles auxquelles vous auriez pu vous attendre.

C'est donc sans aucun recul que je conclurais en disant avoir beaucoup aimé ce roman, en grande partie pour la justesse avec laquelle sont décrits les différents personnages, leur profondeur psychologique, l'analyse et l'ambiguïté de leurs relations.
Le côté Harlequin pourra en dissuader certains, en d'autres circonstances ça aurait pu être mon cas, mais exceptionnellement j'ai pu m'impliquer et m'intéresser aux prémisses d'une romance qui aura son importance dans le déroulé des évènements qui suivront.
Et même s'il ne s'agit au fond que d'un thriller psychologique de plus, sans prétention, Rebecca Fleet en maîtrise d'ores et déjà les codes et sait bien y faire pour instaurer le doute et surprendre son lecteur.


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