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Critique de FeyGirl


C'est avec grand intérêt que j'ai entamé cette lecture, le sujet m'intéressant tout particulièrement.

Caroline Fourest a eu l'idée de cet essai à la suite d'un incident qui lui est arrivé. Elle voulait éditer une BD sur l'histoire de Clodette Colvin, première Noire américaine à avoir refusé de laisser sa place dans son bus, bien avant Rosa Parks. Cette BD est inspirée d'une biographie écrite par Tania de Montaigne, et les dessins sont réalisés par Emilie Plateau. L'acheteuse (blanche) de la filiale américaine de l'éditeur américain a appelé pour dire qu'il était impossible de titrer le livre « Noire » dans sa version anglaise car… la dessinatrice était blanche ! Selon une idée qui se répand, on ne peut écrire sur un sujet que si on est concerné à titre personnel.

L'auteure — et militante — nous dresse un constat marquant et parfois effrayant de la pensée et du militantisme aux États-Unis, qui peu à peu prend pied en France. J'avais entendu parler de certains de ces événements, mais ici nous découvrons la genèse d'une idéologie qui partait d'un bon sentiment et qui finit par détruire le débat d'idées ; ainsi qu'un système qui devient cohérent dans sa volonté de s'imposer par l'intimidation et le refus de débattre, voire dans la tentation de la censure.

Une pensée inquisitrice, particulièrement active sur les réseaux sociaux et dans les campus américains, qui est devenue très intolérante et n'a de cesse de faire plier ses « ennemis », même quand ceux-ci devraient être ses alliés naturels. Avec elle, vous avez forcément tort. Vous êtes essentialisé selon votre sexe, votre couleur de peau, votre culture d'origine, votre religion supposée… dans une concurrence entre celui qui sera le plus dominé et le plus victime des dominants. On ne comprend pas quelle société veulent construire ces gens-là.

Né d'une Histoire américaine très différente de la nôtre, ce mouvement favorise le « moi je », efface toute possibilité de se confronter à l'altérité, et ne voit aucun problème à ne pas venir à des cours de littérature obligatoires sous prétexte de « micro-agressions » dans les livres écrits avant leur naissance. D'ailleurs, l'auteure s'amuse à noter que bien souvent, ces harceleurs d'un nouveau genre ont une culture assez limitée sur les sujets qu'ils prétendent défendre, et qu'ils ont une vision très simpliste du monde. Pour des étudiants en supérieur ou des intellectuels, c'est assez déprimant. Mais ils réussissent à faire virer des professeurs, parce que les responsables ont abandonné ou sont eux-mêmes acquis à ces thèses.

Un point m'a particulièrement effrayé : Kate Parry fut violemment attaquée pour avoir publié une photo avec des tresses fines, qui sont proches de la tradition ukrainienne. Mais les militants antiracistes américains la traînent dans la boue en l'accusant de s'être approprié les tresses africaines ( !). Devant le scandale, sa maison de musique l'oblige à un acte de contrition publique, chaperonnée par un activiste de Black Lives Matter, où elle promet de « s'éduquer ». S'éduquer. Cela m'a fait penser aux systèmes totalitaires du XXe siècle où les « ennemis » du peuple étaient envoyés en rééducation. Ces exemples d'excuses d'artistes intimidés sont maintenant devenus légion.

Dérives de l'antiracisme, appropriation culturelle, meute sur les réseaux sociaux et dans la vie réelle… J'ai beaucoup apprécié lire ce court essai, qui nous offre un récapitulatif de ce qui pourrit la vie intellectuelle, artistique et universitaire aux USA, et qui est déjà chez nous.

J'apporterais cependant une nuance : Caroline Fourest parle de « la Génération Offensée », et il est vrai que l'on constate en France la même tentation totalitaire — il faut dire le mot — dans certaines facultés et sur une partie des réseaux sociaux. Pourtant, il existe — encore — une jeunesse qui sait nuancer, qui reste plus pragmatique et qui sait débattre avec des personnes ayant une opinion différente. Mais elle est moins visible. Espérons que cette jeunesse-là saura ne pas se laisser emporter.

Je remercie NetGalley et les éditions Grasset pour l'envoi de ce livre.

Lien : https://feygirl.home.blog/20..
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