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Critique de ElGatoMalo


Texte relu récemment (achevé serait plus juste) dans le prolongement de quelques réflexions induites par le livre de Léonor de Recondo. Ce que j'ai à en dire ne dépasse pas l'article consacré au Moïse de Michel-Ange.

Freud a divisé son texte en trois parties.

La première pour nous montrer que beaucoup de spécialistes se débattent en essayant d'interpréter ce qui est donné à voir par l'artiste. Non, mais sérieusement ? Cet incapable de Michel-Ange, comment se fait-il qu'il soit si incompréhensible au commun des mortels et, pire encore, à tous ces grands spécialistes de l'esthétique ? Finalement, super Sigmund les dépasse, les bat, les écrase tous (y compris le génie De La Renaissance italienne, même pas fichu de s'exprimer clairement, le bougre) parce qu'il dispose des outils de la science psychanalytique et il va nous dire comment. Je me demande s'il ne devait pas avoir du mal à enfiler ses bottes de temps en temps le père Freud, tellement il avait gonflé des chevilles.

La seconde pour nous assommer avec une description tellement lourde que j'avais abandonné ma première lecture il y a vingt-cinq ans. L'objectif déclaré : accumuler des détails sur la posture du personnage de Moïse tel que Michel-Ange l'a mis en scène pour démontrer la valeur de la psychanalyse au travers d'un syllogisme qui ne démontre rien si ce n'est qu'il faut ouvrir les yeux et observer pour collecter des indices sur les symptômes. Cela ne pourrait-il pas tout aussi bien démontrer qu'un simple médecin peut bien mieux interpréter l'activité artistique que les historiens de l'art ? Peut-être pas car en 1914, je remets le texte un peu dans la perspective historique, on n'est pas si éloigné d'une époque où l'hygiène et la prophylaxie nécessaires à toute pratique de la médecine doivent être démontrées par un chimiste auquel on n'accorde même pas le titre de docteur en médecine Honoris Causa. Et là, bizarrement, outre l'image de Pasteur, celle du docteur Bell, l'inspirateur de Conan Doyle pour le personnage de Sherlock Holmes, vient flotter dans ma mémoire. Ce n'est plus Sigmund Freud qui me parle au travers de ce texte, c'est le docteur Watson. Mais il est d'un ennui déjà mortel quand il m'assène le coup de grâce : plusieurs pages de l'Exode ! Là, il exagère. J'ai l'impression d'être en train de corriger un mauvais compte rendu de stage en entreprise d'élève de troisième qui me colle les statuts de la société pour faire du poids. Là, je dis : "Stop !" et je saute par dessus ce salmigondis pour aller directement à ses conclusions. "On sait que les parties historiques du livre qui traite de l'Exode sont truffées d'incohérences et de contradictions encore plus frappantes", dit-il et ensuite : "Soumis que nous sommes à l'influence de la critique moderne de la Bible, il est pour nous devenu impossible de lire ce passage sans y reconnaître les signes de la compilation maladroite de plusieurs récits qui servent de sources." C'est bien, au moins maintenant on sait qu'il sait, que c'est un intellectuel dans le coup et qu'il se tient au courant de ce qui se passe dans le monde. Mais, on commence à s'y faire, on est abonné à son leitmotiv : tous ces gens ne sont que des incapables ! Même les compilateurs de la Bible. Et pour en revenir au travail de Michel-Ange, son Moïse assis n'est pas, ne peut pas être - n'est même pas - une illustration des textes bibliques aussi confus soient-il.

La dernière partie expose une théorie : le moïse est assis, et il vient juste de tourner la tête vers la gauche. Les mèches de la barbe qui sont prises dans les trois doigts de la main droite démontrent le mouvement qui vient de s'achever. Voilà, ce que j'appelle enfoncer une porte ouverte parce que c'est l'évidence même.

J'aimerais donner ici mon interprétation personnelle. Elle passe par Gotlib, le fantaisiste, le papa de Gai-luron et de pervers Pépère. Je me plais à imaginer Moïse invité au Gods' Club. Il est assis, pénard. Les tables de la loi solidement coincées sous son bras droit. de sa main droite, il se lisse la barbe. C'est peut-être un geste machinal, ou, plus simple encore, il défait quelques noeuds dans les poils dont il retient l'extrémité avec la main gauche. Cette longue barbe est un signe d'ancienneté, de maturité et de sagesse. Il regarde ce qu'il fait, assez fier d'être inviter au Gods' Club. Enfin quoi ? C'est mérité : il a rédigé les tables de la loi, sous la dictée de Jéhovah, certes, mais quand même. Outre qu'il a personnellement rencontré Dieu (et ils ne sont pas bien nombreux à l'avoir croisé personnellement, deux à peine, Abraham et Noé), il a fait sortir d'Égypte les tribus d'Israël. Il leur a aussi donné les mathématiques et la géométrie qu'il a piqué aux égyptiens ; écrit les cinq premiers livres de l'Ancien Testament (si je me souviens d'un peu de catéchismes - j'y allais en partie pour faire plaisir à mon père qui me traitait de mécréant et l'autre raison n'a rien à voir avec la foi). Il est celui qui aura réuni ce peuple dans une même religion. Ce moïse, qui attend, a les muscles gonflés comme s'il avait fait plusieurs heures de culturisme avant de répondre présent à l'invitation. Et brusquement, il réagit vivement en se tournant vers la gauche et son regard est orienté vers le haut. Qui peut se trouver à cet endroit, à sa gauche et un peu plus haut, juste assez au-dessus de lui pour lui faire lever les yeux ? On ne le saura jamais car il devait prendre place dans un ensemble de quarante statues dont l'immense majorité n'a jamais vu le jour et celles qui ont été produites n'ont pas pu être installées dans une scénographie dont la description contractuelle a été perdue. Alors oublions les trente-neuf autres statues, oublions le Gods' Club, oublions Gotlib et focalisons-nous sur le projet : un tombeau. Pour qui ? Un pape : Jules II dont on sait qu'il avait pour objectif de réunir les différentes parties de l'Italie de son temps sous l'autorité pontificale. Et pas spécialement par la douceur et la diplomatie. Il y a là une connexion entre les intentions de l'un et les actions de l'autre: un peuple divisé réuni sous une même religion, par la force si nécessaire. Pour revenir un instant à Freud, ce dernier souligne le coté impulsif de Moïse, c'est aussi un trait de caractère de Jules II. Alors si on tient compte du fait que lorsque Michel-Ange projette son décor funèbre, il y a dans son voisinage un Bramante qui ne songe qu'à lui souffler la place, je ne serais pas étonné qu'il ait eu l'idée de proposer au pape de le présenter sous les traits d'un des fondateurs du monothéisme par pure flagornerie. La barbe et le geste de satisfaction qui consiste à la lisser, est de la même veine, soulignant ainsi les choix éclairés et pleins de sagesse du souverain pontife, ainsi que la satisfaction de l'oeuvre accomplie. Alors pourquoi ce mouvement vers la gauche ? Pour le mouvement lui-même, c'est un des traits distinctifs du maniérisme, le style qui prend naissance avec Michel-Ange et Léonard. Et, si on songe que ce qui attire l'attention du grand homme se situe au-dessus de lui sur la gauche - sinister, en latin - peut-être n'est-ce qu'un appel du très haut à le rejoindre. Un appel qui aurait parfaitement sa place sur un monument funéraire.



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