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Critique de Tzomborgha


Planté au carrefour des cinq histoires qui composent ce recueil, l'oranger est le symbole rémanent d'un métissage auquel Fuentes attribue les vertus d'une altérité idéale et universelle, qui brasse les hommes et les cultures dans les grands flux cycliques de l'Histoire.

"Le destin de tous les empires était déjà écrit, pour toujours, sur les murs du festin de Balthazar"
S'emporte Fuentes par la bouche de Jeronimo de Aguilar, le narrateur de la première nouvelle. Les châtiments de la vanité se répètent depuis Babylone, et les empires qui lui succèdent sont des oriflammes pour l'inépuisable orgueil des hommes, coupables et prisonniers d'une faute originelle enracinée dans la morphologie de l'histoire voulue par Oswald Spengler.

L'Oranger parle à la première personne, et imagine un dialogue d'outre-tombe entre les protagonistes secondaires d'une Histoire passée à la gouache du romantisme:
Jerinimo de Aguilar donc, échoué sur les côtes du Yucathan en 1511, est d'abord séquestré par les Mayas locaux avec son compagnon Gonzalo Guerrero, puis s'adapte à ce nouvel état de nature avec plus ou moins de fortunes.
Cortés les découvre lors d'une escale en 1519, et emmène Aguilar vers Tenochtitlan… Quant à Guerrero, El Renegado, l'homme a maintenant le visage tatoué, et s'est totalement fondu dans la culture locale. On admet avec indulgence qu'il est à l'origine des premiers métisses du nouveau monde.
Quel rôle pour Aguilar? Embarqué dans l'épopée tragique d'un génie dévoré par l'ambition, il est aux premières loges de la chute pathétique de Moctezuma: Il a appris la langue des Mayas, le Yucatèque, or Cortés s'est également assuré les services d'une jeune indienne, La Malinche, la traîtresse des origines, qui parle cet idiome aussi bien que le nahuatl, soit la lingua franca de l'empire Aztèque.
Ces deux accidentés du destin vont brièvement former un couple aux abois mais déterminant, une sorte d'interprète bicéphale qui va passer toutes les conversations entre espagnols et aztèques au filtre de leurs jugements.
Les idées commencent à se métisser, en quelque sorte, et c'est bien sûr la langue, la parole, qui est le vecteur contagieux de ce processus. Tenir ce levier parmi d'autres octroie sans doute quelques pouvoirs sur la marche des évènements, et ces deux-là se sont regardé les traduire avec des mots.
Une idée semblable traverse Les Deux Numances, histoire de la résistance, du siège, et de la chute d'un lieu où se réalisa peut être la singularité espagnole.
Scipion, petit-fils de l'Africain, y dresse un siège en forme d'oxymore: Il entoure la ville d'une fortification qui épouse parfaitement son périmètre, ne laissant qu'un espace étroit correspondant à la superficie de la ville, piégée dans la contemplation de son propre reflet panoramique. Les défenseurs mourront tous de faim, et sur la place de la ville un oranger offrait ses derniers fruits aux conquérants venus de Rome.

L'auteur s'amuse de ces ironies de l'Histoire sophistiquées, qui semblent s'épanouir dans l'improvisation d'acteurs parachutés dans des scènes baroques en cours d'écriture.
Le procédé narratif qu'il met en place peut sembler artificiel et pompeux à la longue, mais le "Je" déclamatif sur lequel il repose revendique un certain lyrisme, une interprétation romantique et idéaliste des interférences qui ponctuent l'histoire, et résonnent parfois à l'unisson.

"Le biographe n'a pas à se préoccuper d'être vrai; il doit créer dans un chaos de traits humains. Leibnitz dit que pour faire le monde, Dieu a choisi le meilleur parmi les possibles. Le biographe, comme une divinité inférieure, sait choisir parmi les possibles humains, celui qui est unique."

Ainsi s'achève la préface aux Vies Imaginaires de Marcel Schwob, et c'est probablement sur ce terreau que pousse l'oranger de Carlos Fuentes.
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