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Critique de Alzie


Alzie
31 décembre 2018
"Laissez-le faire, il y a en lui l'étoffe de trois ou quatre peintres, mais il n'en est pas de même pour vous" (p.14). C'est le sage Pierre Narcisse Guérin qui parle à ses élèves du plus fou(gueux) d'entre eux : Théodore Géricault (1791-1824). Rapportée dans la biographie succincte introductive la phrase qui fait sourire est en 1810 un bon jugement sur le tempérament de l'artiste. Deux tableaux plus tard (visibles aussi dans les premières pages) et la réputation de Géricault est établie, le mouvement l'emporte sur la ligne, il se démarque : "L'Officier de chasseurs à cheval chargeant", succès au Salon de 1812, et "Le Cuirassier blessé quittant le feu", oeuvre incomprise en 1814. C'est que l'antiquité idéalisée de David "sévit" toujours quand Géricault peint l'officier halluciné sur son cheval cabré puis le soldat blessé (pris à tort pour un lâche). Géricault fait entrer une figure de soldat inconnu dans la peinture d'histoire. Plus connu pour sa fameuse scène de naufrage que pour ses portraits d'aliénés par exemple, Géricault "célèbre inconnu" (selon Michel Régis, catalogue du bicentenaire de la naissance) est victime de l'aura romantique de sa trop brève existence. Immense dessinateur novateur en peinture, bousculant les genres, ignorant les hiérarchies, trouvant dans l'actualité de son époque (la fin de l'épopée napoléonienne et la Restauration) ou dans le secret de prédilections intimes puissantes les thèmes de son inspiration. De même sera t-il précurseur en lithographie, innovation qui attend ses géants au début des années 1800. C'est ce que ce catalogue est censé montrer. Géricault s'y initie au retour de son voyage en Italie fin 1817 et va s'y adonner jusqu'à sa mort. Il n'a pu que sentir ce que la lithographie pouvait offrir à ses géniaux élans de trait. Souvent cités par Delacroix, Nicolas Charlet d'abord et son ami Théodore Géricault qui lui emboîte le pas, sont deux pionniers de la lithographie en France. L'oeuvre lithographiée de Géricault c'est tout au plus une centaine de feuilles où sa signature apparaît (sur des lithos originales, d'après lui ou en collaboration avec Lami) que le musée Condé de Chantilly et les éd. Faton donnent à voir aux amoureux d'une esthétique en noir et blanc dans ce format carré attractif d'un catalogue d'exposition récent (2018).

Le musée détient un ensemble complet des lithos de Géricault depuis le legs du duc d'Aumale à l'Institut dont quelques pages relatent aussi l'histoire de la collecte. Rien en revanche sur Aloys Senefelder - qui vaut bien le duc en terme de notoriété -, et c'est juste un tout petit peu triste (et tristement français) un catalogue qui oublie à ce point de faire dialoguer l'art et la technique et d'évoquer la portée de la découverte. Car l'invention destinée initialement à l'industrie va révolutionner le monde de l'imprimerie et des arts au XIXe et tout autant les mentalités. Comme Dürer formidable graveur sur bois avait testé l'eau-forte sur cuivre au début du XVIe, Géricault pressent l'intérêt de ce nouveau media lithographique. Ses estampes et leurs notices, plus quelques dessins, études à la mine de plomb ou aquarelle, en témoignent. Après lui la lithographie sera un extraordinaire champ d'expérimentation et de recherches pour les plus grands artistes (Goya, Delacroix etc.). Il faut donc ici interroger des yeux des images issues d'une matrice en pierre... Même énergie et même véhémence de composition que dans les oeuvres peintes ou dessinées. L'animal sauvage, "Lion dévorant un cheval", sanglier, et cheval qui fascine tant Géricault depuis l'enfance sont là. Croupes, attelages, Chevaux de labeur, "Les Boueux", chevaux de poste à l'écurie, chez le maréchal-ferrant, "Cheval mort" (1823), chevaux de course, au combat. Et pour l'actualité du temps : officiers impétueux, scènes de charges, de la vie militaire. La fin de l'épopée napoléonienne et la guerre sont chroniquées par la débâcle du retour de Russie : charriots de désespérance chargés de blessés, grognards éclopés, bandés, amputés, préfigurant d'autres gueules cassées. Interprétation des poèmes de Byron ou illustration d'une chanson. Dans cet ensemble rare la "Suite anglaise" des voyages à Londres de 1820 et 1821 où Géricault est parti pour exposer "Le Radeau de la Méduse" qui rencontre un succès immense qu'il n'a pas eu en France. C'est à Londres qu'il peaufine sa technique lithographique et trouve dans la misère des rues touchées par la révolution industrielle naissante une inspiration nouvelle que sa fin trop précoce lui interdira d'explorer davantage. Un livre pour les inconditionnels de l'estampe et de Géricault dont je fais partie. Merci à Babelio et aux éd. Faton.


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