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Critique de bdelhausse


Alors que, voici quelques années, les USA nous ont vendu les frappes chirurgicales, à l'heure où la Russie pilonne l'Ukraine, relire Maurice Genevoix est une tâche essentielle... Essentielle... voilà bien un mot que deux ans de COVID ont chargé de sens.

Maurice Genevoix fait normale sup, il est brillant. On pressent le futur écrivain de talent. Survient la guerre, il est enrôlé, il grimpe les échelons rapidement. Il le reconnaît à demi-mot, s'il progresse si vite, c'est faute de combattants. A un moment dans son court récit, il fait le bilan, sur 60 hommes de son escouade (peu importe le mot exact), au bout de quelques mois, ils sont moins de 20 encore en vie. Et son bilan est meilleur que les autres escouades, parfois décimées intégralement.

Maurice Genevoix est panthéonisé par Emmanuel Macron en 2020. Etrange année pour un auteur qui a parlé des poilus comme personne (ou presque). On fêtait, si je puis dire, les 40 ans de la mort de l'écrivain. C'était l'occasion, fort décriée, pour le Président des Français, de magnifier la Nation unie derrière ce chantre du pacifisme.

Et pourtant, Genevoix sait se montrer caustique, critique. Il dénonce les hiérarchies aveugles, les ordres idiots, les stratégies grotesques. Comme quand il signale, juste en passant, que les officiers sont super visibles avec leur pantalon garance orné d'un galon noir... histoire de bien les aligner à distance. La Guerre 14-18, c'est la première guerre de snipers. Ce sera aussi la première guerre où les hauts gradés prennent des décisions loin du champ de bataille. Et ça, Genevoix en fait ses gorges chaudes.

Maurice Genevoix montre les choses telles qu'elles sont, il le fait sans fards. Un chat, c'est un chat pour Maurice Genevoix. Pas un "félin domestique". Une balle qui arrache une mâchoire. Un poilu qui porte ses intestins. Un pauvre poulbot qui agonise pendant des heures, à quelques mètres des tranchées. Des obus qui fusent, explosent et ne laissent que deux bottes encore remplies de deux pieds, le corps pulvérisé "façon puzzle" (sans que cela puisse faire rire). Maurice Genevoix ne veut pas mettre d'émotion. L'émotion, c'est le lecteur qui la met. Il veut des faits. Des descriptions. Il le fait dans un langage très classique et beau. Il y a une dignité dans l'horreur. Pas de fiction chez Maurice Genevoix. C'est un reporter de guerre, finalement, Maurice (j'espère qu'il ne m'en veut pas de cette familiarité).

Même quand il aborde les 3 fois où il est mort, les 3 fois où il aurait dû mourir. Les balles avec son nom écrit dessus, comme on dit. Les 3 fois où finalement la mort n'a pas voulu de lui. Ces 3 fois, il s'en souvient quand il écrit La mort de près en 1972! soit 57 ans après les faits. Et la précision de son style et de son écriture fait froid dans le dos, en fait. tout est toujours bien présent à l'esprit. C'est dire s'il est marqué à vie (et cette expression prend tout son sens véritable) par ces quelques mois passés au front à perdre ses amis par poignées.

Là où Barbusse milite politiquement. Là où Céline fait oeuvre de fiction, grossissant les traits pour diffuser une horreur qui n'en a -réellement- pas besoin, Genevoix nous donne les faits, rien que les faits, tous les faits, votre Honneur. Car ces faits, ils parlent d'eux-mêmes, et ils sont plus puissants que toutes les fictions.

Emmanuel Macron a réécrit Genevoix en le plaçant au Panthéon. Cet auteur mérite mieux qu'une image figée, immuable. Genevoix mérite d'être relu, absorbé, digéré, et propagé. La guerre n'est jamais propre, ni chirurgicale, ni légitime. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Maurice Genevoix, dans cette brillante ode à la vie et à la gratitude de vivre.
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