AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de DETHYREPatricia


J'ai été particulièrement intéressée par ce témoignage d'une jeune Afghane qui, avec l'aide d'une journaliste, retrace ses années de vie en Afghanistan entre 1993 et 2006, date à laquelle elle bénéficiera, grâce à une ONG, de la possibilité de se réfugier en Espagne (où elle vit toujours).

Pourquoi intéressée ?
Car ce type de témoignages est rare, voire exceptionnel dans le cas de Nadia qui a la particularité notable de s'être fait passer pour son frère mort Zelmaï, au nez et à la barbe des Talibans, pour tenter à onze ans de faire survivre sa famille, dans un pays confronté à la guerre, à la misère, à la contrainte et à des violences répétées, à la délation, etc.

Certes, il s'agit-là d'un témoignage personnel, forcément subjectif, mais néanmoins révélateur :
- de l'incroyable complexité géographique, historique et géopolitique de ce pays ayant bien du mal à exister par lui-même et subissant, depuis longtemps, le joug de telle ou telle puissance politique ou religieuse.

- des différentes façons de vivre des peuples en présence, selon qu'ils soient pauvres ou riches, selon qu'ils habitent les villes ou dans des campagnes isolées, selon qu'ils sont du côté des oppresseurs ou pas, selon qu'ils aient accès au minimum vital ou pas (alimentation, eau, électricité, éducation), selon qu'il s'agit hommes ou de femmes.

- du peu de valeur qu'a la vie humaine dans ce pays, livré à toutes les barbaries et où chacun tente de passer entre les gouttes de la répression et du meurtre gratuit, tout en essayant de survivre (au propre) comme il le peut.

- du poids de la religion (ou du moins de l'apparence de la religion car nombreux sont ceux qui obéissent par peur et non par conviction).

- de la réalité de la vie d'une femme dans ce pays, notamment sous le joug des Talibans (de 1996 à 2001 et revenus au pouvoir en 2021) pour qui elles n'existent pas hormis à l'intérieur de leurs maisons pour élever leurs enfants.

Pour nous, occidentaux, ces scènes de la vie quotidienne telles que décrites par l'auteure sont terriblement choquantes. Il me semble qu'il faudrait que ce type de témoignage circule plus pour permettre à nos concitoyens de mieux comprendre ce qui peut motiver les candidats à l'exil vers cet Eldorado que représente l'Europe.
Comment pourrions-nous, en effet, leur en tenir rigueur ? Nous ne supporterions pas un dixième de ce qu'ils vivent à longueur de journée.

Je vous rassure, dans son témoignage, Nadia n'aborde pas ces aspects politiques (à l'époque où ce livre a été écrit 2008-2010, Nadia n'avait sans doute pas la connaissance des enjeux géopolitiques de l'endroit et la maturité intellectuelle pour les analyser... on sent d'ailleurs, ici ou là, la patte de la journaliste qui l'a aidée pour évoquer certains faits historiques)... En effet, on apprend à la lecture de ce livre que ce n'est qu'à 20 ans qu'elle découvre la raison d'être des règles et la façon de concevoir un enfant... C'est dire combien il est facile de manipuler les masses lorsque celles-ci n'ont pas accès à un minimum d'éducation.

Non, ce que Nadia parvient à nous faire vivre, c'est ce qu'a été sa vie de petite fille et de jeune fille entre 1993 et 2006. Elle nous montre comment elle et sa famille ont été confrontées à la guerre et aux bombes, comment elle a été touchée dans sa propre chair et a subi de nombreuses hospitalisation durant deux ans ; elle nous montre comment, entre sa mère interdite de sortir et son père devenu mentalement instable, elle n'a d'autre choix de subvenir elle-même aux besoins de sa famille en prenant entre 1996 et 2006 l'identité de son frère décédé ; elle nous montre les travaux d'esclave que malgré sa frêle constitution, malgré la faim qui la tenaille, elle est obligée de faire ; elle nous montre comment à un moment donné elle trouve refuge dans la religion au point d'assister l'imam local ; elle nous montre toute la difficulté de vivre "sous couverture" (penser comme une fille, agir comme un garçon) sans se faire piéger par ses pensées, par ses mots, par ses gestes, par son coeur et ses émotions aussi... lorsqu'elle tombera amoureuse ; elle nous montre comment elle a survécu ainsi dix années et comment après avoir accédé (en tant qu'homme rappelons-le) à l'éducation, elle entre en relation avec des ONG locales qui l'aideront financièrement mais aussi à s'expatrier.

J'ai appris beaucoup en lisant ce livre. J'ai été choquée de ce que j'ai lu et j'ai été émue aux larmes en prenant conscience de la condition des pauvres, des femmes et des enfants. La construction du livre permet une lecture addictive (narration à la 1re personne, courts chapitres, langage simple, très descriptif et concret). Parfois, on se dit que ce n'est pas possible, on doute de la crédibilité de ce qui est rapporté... mais pourquoi mentirait-elle ?

Les seules choses qui m'ont gênée sont les suivantes : une certaine difficulté à se situer dans le temps ou dans les lieux ; peu de références sur la présence américaine et des alliés et d'informations sur ce que cela a pu changer (ou compliquer) pour le peuple ; parfois aussi une réelle difficulté à comprendre si certaines actions sont menées sous son identité de fille ou de garçon (notamment ce qui a trait à l'école, à un moment donné, on est perdu)... et peut-être aussi une parole écrite avec une réelle prise de distance (le récit de Nadia est écrit par la journaliste qui l'a aidée) ce qui confère, parfois, une absence d'émotions et de sensibilité au propos... alors même que les choses évoquées sont graves ou douloureuses.

Néanmoins, pour qui s'intéresse aux témoignages et récits de vies, un livre qu'il convient de connaître.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}