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Critique de Presence


En 1990, Frank Miller (scénariste de Dark Knight Returns) (DKR) et Dave Gibbons (dessinateur de Watchmen) s'associent pour créer les aventures d'un nouveau personnage : Martha Washington (elle porte le même nom que la femme du premier président des États-Unis). Ce tome est le premier de ses aventures. L'intégralité des aventures de Martha Washington a été réédité en 3 tomes : (1) celui-ci + (2) Temps de guerre + (3) La paix retrouvée .

L'histoire commence en 1995, avec la naissance de Martha Washington. Son père meurt dans des émeutes en 1996, victime des forces de l'ordre. Sa mère vit dans un ghetto urbain au coeur de New York, abritant la population dite défavorisée. En 1996, Erwin Rexall est élu président des États-Unis. Il abroge le vingt-deuxième amendement ce qui lui permet de se représenter plus de 2 fois à la présidence. Il s'avère au bout de 3 mandats que sa gouvernance basée sur un libéralisme outrancier a conduit à un effondrement de l'économie intérieure, un nouveau massacre des indiens, une augmentation du nombre d'habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté, une catastrophe écologique en plein coeur du pays et une regrettable erreur militaire en Arabie Saoudite. La réponse ne se fait pas attendre : la Maison Blanche est la cible d'un attentat terroriste dans lequel périt tout le gouvernement, à l'exception de Rexall lui-même qui est dans le coma et d'un obscur sous-secrétaire d'état (Howard Nissen) qui devient président par défaut. Ce dernier va mener une politique sociale et de retrait des conflits très populaire et efficace pendant plusieurs années jusqu'à ce qu'elle rencontre, elle aussi, ses limites.

Pendant ces années (jusqu'en 2012), Martha Washington grandit et essaye de trouver sa place dans le monde. Elle est le témoin involontaire de l'assassinat d'un de ses profs. Elle est internée. Elle est le témoin involontaire d'une expérience militaire sur des êtres humains. Elle s'engage dans les forces armées pour lutter contre une entreprise de restauration rapide qui détruit la forêt amazonienne. Elle est le témoin involontaire d'un acte de sabotage du lieutenant Moretti. Elle devient un héros de guerre. Elle est à la fois un soldat au service de son pays, le témoin de son temps et l'actrice d'actions aux répercussions nationales.

En 1990, le marché des comics se porte très bien, les maisons d'éditions indépendantes fleurissent et l'éditeur Dark Horse rafle la mise en accueillant les projets originaux de Frank Miller (Hardboiled à la même époque, puis Big Guy). Pour son premier essai, il arrête de dessiner et il se concentre sur le scénario pour prouver qu'il est capable d'écrire autre chose que des superhéros. Il choisit le registre de la politique fiction mâtinée d'anticipation avec une bonne couche d'action. Il persiste dans le registre caricatural et outré qu'il maîtrise bien. Martha Washington naît dans une famille du quart monde, elle traverse beaucoup d'épreuves et de souffrances (sauf le viol), c'est une guerrière hors paire et elle a un instinct de survie à toute épreuve. de la même manière, les courants politiques et idéologiques ressortent clairement de la caricature et de la satire.

Pour autant, Miller continue d'être un scénariste plus subtil qu'une lecture superficielle ne pourrait laisser croire. Les 2 présidents (Rexall et Nissen) appartiennent l'un à la droite bien libérale et l'autre à une droite à tendance sociale. Leurs politiques respectives sont dessinées à gros traits, mais leurs personnalités sont complexes et ils sont très humains (rien à voir avec le fantôche à l'image de Ronald Reagan dans DKR). Miller prend vraiment le temps de donner chair à ses personnages, d'en faire des individus avec des motivations spécifiques et des caractères nuancés. Cette caractéristique évite à l'histoire de tomber dans la grosse farce superficielle. du coup les grands mouvements sociaux (politique extérieure et intérieure simpliste) broient ces personnages et mettent en évidence la complexité de l'exercice du pouvoir.

Cette histoire est mise en image par Dave Gibbons. Pendant des années, j'ai été incapable d'apprécier ces illustrations parce que Dave Gibbons a utilisé exactement le même style que pour Watchmen que j'avais lu avant. Or l'histoire de Jon Osterman et compagnie a imprimé une marque indélébile, à commencer par son style graphique. Plusieurs années après, je peux enfin regarder les dessins de Gibbons avec un autre oeil. Dave Gibbons a recours à des compositions de pages traditionnelles avec des cases en rectangle sagement accolées les unes aux autres (il est libéré de la trame de 9 cases de Watchmen). Il insère quelques pleines pages peintes quand le scénario l'exige (facsimilé de couvertures de magazines). Il a conservé son style qui évoque fortement la ligne claire (très peu d'à plats de noir). Certains peuvent le trouver un peu daté, il me donne plutôt le sentiment d'être intemporel. Il s'agit de dessins précis et rigoureux contenant beaucoup d'informations visuelles tout en restant d'une clarté exemplaire. Ces cases sont au service de l'histoire et ne cherchent pas à faire s'extasier le lecteur devant la technicité de l'artiste. Ce parti pris graphique se marie admirablement avec la nature de l'histoire qui se veut relativement réaliste. Et les nombreuses scènes d'actions sont très efficaces.

Le titre "Give me liberty" est une citation de Patrick Henry (1775), l'un des pères fondateurs des États-Unis. Miller a placé la barre très haut quant à ses ambitions et le résultat est entre 2 chaises. Cette histoire est largement au dessus des comics traditionnels de superhéros, mais il manque d'un peu de nuance politique pour accéder au rang d'indispensable de bande dessinée. Donc la catégorie comics habituels, cette histoire mérite 5 étoiles ; dans la catégorie comics matures, elle n'en mérite que 4.
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