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Critique de JustAWord


Encore strictement inconnue en France, Renee Gladman est une autrice américaine diplômée en philosophie et poésie à l'origine de la maison d'édition Leon Works dédiée à la prose expérimentale.
Récemment acclamée par Sofia Samatar dans notre dossier L'Imaginaire au féminin, Gladman trouve enfin le chemin des librairies françaises grâce aux éditions Cambourakis et à la traductrice Céline Leroy.
Pour cette entrée en matière, c'est Voyage à Ravicka (première novella de sa tétralogie consacrée à la ville imaginaire de Ravicka publié depuis 2010) qui est mise à l'honneur.
Un coup d'essai aussi intriguant que fascinant.

Crise à tous les étages
« Les gens arrivent et repartent exactement comme dans une gare, et beaucoup restent. Beaucoup étaient déjà là. », lance Simon au début de Voyage à Ravicka pour qualifier la situation précaire de Ravicka.
Mais qu'est-ce que Ravicka ?
Une ville-état sortie tout droit de l'imagination de Renee Gladman, un endroit qui n'existe pas ou qui a existé à un moment donné et qui n'existe plus. Ou pas encore. Qui sait vraiment au fond ?
Pour visiter Ravicka, le lecteur voyage en compagnie d'une narratrice qui n'aura jamais de nom, juste un titre : celui de voyageuse-linguiste.
De son propre aveu, celle-ci ne désire pas faire d'études anthropologiques des peuples vivant à l'intérieur de cette incroyable cité. Mais comment étudier le langage d'une contrée étrangère sans comprendre les gens qui y habitent et les lieux qui les habitent eux ?
Dans ce récit surréaliste quelque part entre Samuel Beckett et Ionesco, la narratrice débarque dans un hôtel dirigé par Simon qu'elle finira par remplacer l'espace de quelques jours lors d'une crise existentielle de ce Ravickien pourtant toujours joyeux et prêt à chanter.
La crise. le mot est lâché, Ravicka est une ville en crise.
De quelle nature est cette crise ? On y parle de résistance et d'agents, la paranoïa enfle à mesure que l'on s'approche du centre-ville et la narratrice elle-même ne comprend pas réellement ce qu'il en est.
Pourquoi donc est-elle venue d'ailleurs ?
En effet, pour tenter de comprendre la situation de Ravicka, il faut comprendre sa langue. Et c'est toute la difficulté de cette histoire parfois cryptique mais toujours étrangement attirante.

Une langue pour définir la pierre et l'homme
Si Ravicka semble tantôt évacuée tantôt vive et bouillonnante, c'est parce que comme de nombreuses villes bien réelles, Ravicka change.
Comprendre ses coutumes, ses manières, comprendre le langage corporel pour s'exprimer convenablement, cela peut-il garantir au voyageur de se repérer correctement une fois tiré de son sommeil ?
Rien n'est moins sûr. Ce qui importe ici, c'est l'action, le mouvement. Si vous voulez parvenir à pénétrer les mystères d'un lieu, d'un peuple, il va falloir bouger et vous faire une idée sur le terrain, par vous-même.
Dans une cathédrale souterraine (où vit un peuple qui parle en blancs et en souffles), dans un opéra ou dans un hôtel, qu'importe le lieu ou les gens, vous changerez avec eux.
Ce n'est pas un hasard si la guide la plus fiable que trouve notre narratrice s'appelle Dar (Dare en anglais signifiant oser) et si celui qui finit par lui montrer la direction véritable se déclare éphémère aka sans-domicile fixe.
Parfois pourtant, la crise que traverse Ravicka, aussi inévitable semble-t-elle être, passe au second plan lorsque Renee Gladman invente des écrivains ravickiens comme pourrait le faire Antoine Volodine ou d'autres coutumes surprenantes autour de la littérature (comme ces parcelles urbaines construites autour des livres et non l'inverse).
Invariablement, Ravicka lie architecture et langage, langage et êtres humains. Une personne peut constituer le centre d'un lieu, des cris finissent par libérer d'une foule… les règles de Ravicka nous sont finalement aussi étrangères que familières et ce n'est qu'en essayant de les apprivoiser que l'on parviendra à les posséder puisque comme le dit si bien notre linguiste : « la propriété s'obtient par la compréhension. »
Voyage à Ravicka relève donc, vous l'aurez compris, de l'extravagante expérience littéraire, s'amusant des particularités du langage et de son importance trop souvent négligée pour expliquer nos comportements et nos villes modernes. Parfois obscure, cette première novella baigne cependant dans un charme surréel qui envoûte, égarant le lecteur dans une ville en perpétuel effondrement, en perpétuel mutation.

Histoire étrange d'une ville fascinante, Event Factory pose la première pierre d'une oeuvre à la fois atypique et poétique où le langage décroche le rôle principal. Renee Gladman affirme son univers singulier dès la première page et régalera les amateurs de surréalisme et d'expérimental. Les autres devraient quant à eux changer de destination pour des horizons moins abstraits.
Lien : https://justaword.fr/voyage-..
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