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Critique de Eric75


Le rythme de croisière se poursuit avec la parution d'un album par an depuis Astérix en Corse (1973), et la règle d'alternance des lieux contraint les auteurs à imaginer une aventure qui se déroule dans le village gaulois. le 23ème album de la série sort en 1976 après une prépublication hebdomadaire dans Le Nouvel Observateur. C'est l'avant-dernier album scénarisé par Goscinny.

Franchement, j'ai cette fois-ci immanquablement une impression de « déjà vu » à la lecture de cet album. Schématiquement, il s'agit pour un expert désigné par Jules César (qui souhaite achever une bonne fois pour toutes sa Guerre des Gaules), de trouver et de mettre en oeuvre le moyen permettant d'en finir avec le village qui résiste encore et toujours à l'envahisseur, comme le répète à l'envi la carte d'introduction présente dans chaque album.

Après Tullius Détritus et sa guerre psychologique dans La Zizanie, après Anglaigus et son programme immobilier dans le Domaine des Dieux (et avant Vicévertus et sa méthode de pensée positive dans l'Iris Blanc), voici Caius Saugrenus, jeune conseiller romain, « néarque » diplômé de la Nouvelle École d'Affranchis (NEA), incollable sur tout sujet lié au marketing, à l'économie ou au commerce, dont la méthode va consister à enrichir les habitants du village gaulois, puis déstabiliser le marché et provoquer une crise économique majeure.

Comme précédemment, le but est de corrompre les irréductibles Gaulois, en suscitant l'envie de bénéficier des attraits de la civilisation romaine et l'appât du gain. Il s'agira également de les mettre en position de dépendance économique et commerciale, de les pousser artificiellement à la surproduction, à la spécialisation des tâches, d'exacerber la compétition, pour les rendre jaloux et incapables de coopérer et de défendre leurs intérêts communs, tels que résister à l'envahisseur.

Tout ceci est très bien amené au cours du récit, mais je conserve à la lecture de cet album une impression de déjà-vu, comme si j'avais affaire à un remake.

Impression de déjà-vu quand Jules César réunit à Rome ses sénateurs pour trouver une solution au problème gaulois (page 12), comme il le faisait déjà dans La Zizanie, où il était également question du manque de respect envers Rome dénoncé par le Sénat (page 5).

Impression de déjà-vu quand les menhirs achetés par Caius Saugrenus s'entassent au milieu du camp retranché de Babaorum (page 33), tout comme les troncs d'arbre collectés par Anglaigus s'entassaient au milieu du camp d'Aquarium dans le Domaine des Dieux (page 24).

Impression de déjà-vu quand l'élégante Mme Agecanonix s'admire dans une luxueuse étoffe venue de Lutèce, apportée par Uniprix (page 25), provoquant la jalousie de ses copines et semant le trouble dans le village, comme elle le faisait déjà avec une étoffe achetée aux Romains dans le Domaine des Dieux (page 35).

Impression de déjà-vu quand la publicité pour les produits gaulois (ici, les menhirs) s'affiche sur les murs de Rome et au sein des spectacles de cirque (pages 36 et 37), comme c'était déjà le cas avec les appartements gaulois vantés et distribués par Guilus depuis l'arène du cirque Maxime dans le Domaine des Dieux (pages 27 à 30).

Impression de déjà-vu avec les bagarres généralisées provoquées par un personnage toxique à la solde des Romains, suivi des réconciliations générales une fois le personnage toxique identifié et éliminé ou chassé du village (pages 46 et 47), à l'instar de Tullius Détritus et d'Anglaigus dans leur album respectif, et on peut aussi ajouter à la liste des personnages toxiques Prolix, opérant pour le compte des Romains dans le Devin.

Finalement, la crise économique provoquée sera telle que même Rome sera menacée, ce qui amènera Jules César à mettre fin au plan de Caius Saugrenus.

Les tirades amusantes et les jeux de mots fusent beaucoup moins que d'habitude. le parler « petit nègre » de Saugrenus s'adressant à des néophytes en économie m'a moyennement fait rire. Reste le comique de situation toujours présent : le laisser-aller généralisé dans le camp romain de Babaorum, les gaulois nouveaux-riches en costume blingbling parfaitement ridicules, l'apparition des pirates dont le navire surchargé de menhirs coule sans combattre, etc.

La réplique « Si tu ne peux pas augmenter la production, l'offre ne pouvant satisfaire la demande, ça risque de faire chuter les cours… » sonne faux à mon oreille (page 19). Une erreur de raisonnement ne s'est-elle pas glissée dans les explications de Saugrenus ? Je parierais pour une hausse des cours dans la réalité, mais « moi y'en a pas être spécialiste en économie ». Il s'agit peut-être d'une manipulation volontaire de Saugrenus faisant partie de son plan, ou d'une farce des auteurs pour voir si tout le monde suit…

La réaction du légionnaire posté dans le mirador et surveillant l'entrée est un excellent gag à répétition qui m'a beaucoup fait rire (pages 15, 17, 19, 21, 27, 32 et 43), le niveau de stress décroissant à chacune de ses apparitions est remarquablement mis en scène.

Au rayon des caricatures, chacun sait que Caius Saugrenus aurait les traits de Jacques Chirac jeune énarque, ce qui a été confirmé par Albert Uderzo, qui n'a cependant pas voulu pousser la ressemblance trop loin à la demande de René Goscinny. Au moment de la parution de l'album (1976), Chirac est premier ministre sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.

Stan Laurel et Oliver Hardy sont également de la partie, ils sont désignés par Saugrenus pour décharger la cargaison de menhirs livrés par Obélix (page 27).

On retrouve notre ami (public n°1) Pierre Tchernia qui poursuit sa descente aux enfers. On l'a connu plein de prestance en général adjoint de Jules César au cours de la guerre qui opposait César à Scipion dans Astérix Légionnaire, centurion dans Astérix en Corse, simple légionnaire dans le Cadeau de César. On le retrouve ici en légionnaire aviné (première vignette page 5) incapable de se mouvoir par lui-même et quittant le camp de Babaorum porté par deux autres légionnaires ressemblant à Goscinny et Uderzo (page 6).

A noter dans cet album le mystérieux encadré (page 36) : « M : Albo notamba lapillo » (« mille : à marquer d'une pierre blanche ») signalant la millième planche réalisée pour la série, avec la faute volontaire sur « notemda » écrit « notemba » (note en bas) pour le jeu de mots.

Pour conclure, cet opus s'inscrit dans la phase déclinante de la période Goscinny-Uderzo, succédant à un âge d'or qui a duré plusieurs années. le prochain album, ne sortira que trois ans plus tard, comme si une période de fatigue commençait déjà à s'installer, et il sera achevé par Uderzo seul suite au décès de son ami.

La lecture d'Obélix et Compagnie vaut toujours largement le détour, mais la complexité du sujet traité le destine plutôt à être apprécié par les lecteurs adultes, et à moins intéresser les plus jeunes lecteurs.
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