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Critique de Rodin_Marcel


Grainville Patrick – "L'atelier du peintre" – Seuil, 1988 (ISBN 978-2-02-009854-0)

Un livre captivant, important, incontournable pour tout amateur de peinture : Grainville fouille le rapport entre le maître peintre et la chair (humaine) du modèle, en assumant – autant le préciser d'emblée – les scènes et descriptions charnelles les plus crues lorsque nécessaire (rien à voir avec le voyeurisme ou l'exhibitionnisme sensationnaliste tant en mode aujourd'hui comme par exemple chez la Despentes, je pense plutôt à un auteur comme Sofi Oksanen).

Trame : à l'époque de l'écriture du roman (fin des années 1980), aux environs de Los Angeles, un peintre d'origine normande dirige un atelier dans lequel il recrute, pour élèves ou pour modèles, des jeunes délinquants issus de la bande des Chiens (mexicains chicanos) ou de celle des Morts (noirs).
C'est un admirateur inconditionnel des autoportraits de Rembrandt : le roman contient des analyses perspicaces de ces tableaux que ce peintre égrena tout au long de sa vie (première évocation en page 26). le récit est toutefois centré sur le désir du peintre, nommé le Virginal (anagramme de Grainville), de reproduire en l'actualisant le tableau de Jan van Eyck intitulé "Les époux Arnolfini" peint en 1434 (première évocation en page 18, justification plus détaillée en page 82) : à partir de là, l'auteur est amené à évoquer la plupart des peintres majeurs, le plus souvent avec légèreté, au détour d'une phrase, ouvrant brusquement des perspectives d'analyse témoignant d'une vaste et profonde compréhension de cet art. le lecteur se voit ainsi offrir des perspectives de compréhension de van Eyck, Rembrandt, Michel-Ange, Vélasquez, le Caravage, Fra Angelico, Rubens, Boucher, Renoir, Modigliani, Goya, Picasso, Le Greco, Paul Delvaux, Baldung Grien, Vermeer (et le petit mur jaune, évidemment), de Chirico, Bosch, Mantegna, Lippi, Balthus, Klimt, Schiele, Munch, Courbet (titre du roman...), Cranach, Fragonard, Degas, Lautrec, Moreau, Raphaël, Delacroix et j'en oublie certainement.
Mais il manque par exemple la "Melencolia" et les autoportraits de Dürer, "La Blanche et la Noire" de Vallotton...

A travers les travaux des élèves, l'auteur montre différentes manières de peindre le même thème (ex pp. 297-298) ; tout au long du récit, il s'attache plus spécifiquement à retracer l'éclosion du talent de l'un d'entre eux, Horace (ligne qui culmine pp. 318-320 et trouve son origine dans les dernières pages).

L'affrontement avec les inénarrables Tuturitchie (férocement croqués) illustre une condamnation sans appel d'un certain "art moderne" (pp. 176-182 puis 195-222 puis 259-263).

D'autres thèmes parcourent le roman, comme une comparaison avec la littérature (pp. 172-176), la confrontation avec le sida (p. 327-329), l'urbanisme de villes comme Los Angeles, une vision sans concession, loin des modes actuelles, de l'homosexualité (pp. 15-16), une description sans fard de l'immense misère régnant dans ces cités pourtant si riches (exemple pp. 71-72).

Je suis en revanche immensément déçu par les évocations lapidaires et stéréotypées de la religion chrétienne (p.p. 96, pp. 242-243, pp. 265-266) ici formulées par cet auteur pourtant si sagace lorsqu'il parle peinture et art : il semble ne pas comprendre des tableaux qu'il n'évoque jamais – alors qu'il doit forcément bien les connaître – comme "La Vierge du chancelier Rollin" (de van Eyck), "La mort de la Vierge" du Caravage, le "retable d'Issenheim" de Grünewald et tant d'autres... dont la "Bethsabée" de Rembrandt qui s'imposait pour un tel sujet !
Tout un pan de la culture occidentale passe ainsi à la trappe, et c'est vraiment dommage...

Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un grand roman, ne serait-ce que par la qualité de l'écriture.
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