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Critique de Pecosa


« OBJET : Livre anti-soviétique
J'ai l'honneur de vous rendre compte des faits suivants :
Ce jour, le dimanche 15 mars 2020, je termine la lecture du roman Les services compétents du dénommé Iegor Gran, de son vrai nom Iegor Andreïevitch Siniavski, fils d'Andreï Siniavski, dissident soviétique.
Cet ingénieur a entrepris une carrière d'écrivain et s'est choisi un pseudonyme pour publier des romans écrits en français.
Cet homme est connu pour son humour noir, et suite à cette lecture, je ne peux que signaler l'irrespect et la légèreté avec laquelle il décrit l'URSS et la politique du camarade Nikita Khrouchtchev . »

Voici le rapport circonstancié que l'on pourrait écrire pour évoquer cet ouvrage et qui devrait être suivi d'une longue autocritique, puisque ce roman est excellent et que l'on prend un plaisir fou à le lire.

Les Services compétents désignent ici les services du KGB, où travaille le lieutenant Ivanov, qui traque le mystérieux Abram Tertz, qui fait publier en France dans les années 60 par une non moins mystérieuse filière des nouvelles fantastiques mettant à mal l'image de l'URSS.
L'habileté de Tertz et de ses amis est telle qu'il faut bien six années aux Services compétents pour démasquer l'écrivain subversif, André Siniavski, époux de Maria Rozanova, parents de Iegor Gran.

Ce qui frappe c'est le sujet du roman, traité avec beaucoup de recul, d'ironie, de second degré, d'apparente légèreté , qui fait rire et sourire.
C'est le récit de la traque de celui qui publie en France, des surveillances quotidiennes, c'est l'évocation des informateurs, des agents qui devinent, analysent, connaissent les individus mieux qu'eux-mêmes, savent prévoir, devancer, du martèlement des valeurs de la Mère Patrie, c'est le rappel de l'incessante comparaison avec l'Ouest décadent, et des tentatives pour ouvrir un peu le pays via Intourist, tout en colmatant les brèches que cette ouverture pourrait causer au sein de la nation…
Bienvenue dans le pays de Monsieur K, nouveau visage de l'URSS .
Les Services compétents racontent donc la censure, les pénuries, la répression, malgré le déboulonnage de Staline et la fin du culte de la personnalité. Si Staline est mort en 1953, la répression en Hongrie a eu lieu trois ans plus tard, l'Affaire Pasternak en 1958, les pays satellites de l'Europe de l'Est ne doivent surtout pas quitter le giron soviétique, ni les dissidents donner une image négative de la nation.

Ce très bon roman satirique offre des pages d'anthologie. Je mets une citation pour conclure en espérant qu'elle vous donnera envie de le lire. Il a été difficile de choisir, on voudrait citer des chapitres entiers du livre (avec mention spéciale pour les cadeaux octroyés à Youri Gargarine ou le passage sur Maurice Thorez).

« Tout de même, comment ose-t-on écrire dans la presse capitaliste que la liberté soviétique est couci-couça alors qu'on a ce Huit et demi qui est projeté en veux-tu en voilà, en plein centre de Moscou? Un film qui donne l'occasion aux intellectualisants d'affiner leur complexe de supériorité sans défendre aucun des enseignements de Lénine.
Khroutchtchev non plus n'a rien compris au film.
Après qu'un jury international lui a décerné le premier prix au Festival de Moscou, on s'est affolés dans les cénacles: comment montrer ce film aux citoyens alors que Mastroianni est à l'évidence contaminé par l'idéologie bourgeoise, tandis que l'art que pratique Fellini est à l'opposé du réalisme socialiste?
Tel un savant fou et altruiste, Khroutchtchev décide de tester le poison sur lui-même. On lui organise une séance privée. Le brave homme s'endort au bout de vingt minutes. Huit et demi est jugé soporifique et inoffensif.
Soulagement pour tout le monde: si le numéro Un est sorti indemne de la projection, le citoyen lambda ne risque rien. »
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