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Critique de Lamifranz


A sa sortie en 1959, « le Tambour » (« Die Blechtrommel ») fit une énorme sensation, à la fois dans son pays d'origine (l'Allemagne) et dans le monde entier. Si nous nous replaçons dans le contexte, finalement, il n'y a pas de quoi s'étonner : l'Allemagne d'après-guerre sortait à peine du chaos, et était encore divisée : ceux qui avaient honte, pour qui le nazisme, ils s'en rendaient compte à présent, était une abomination ; et ceux qui plus froidement, regardaient le passé dans une perspective purement historique, voire pour certains carrément symboliste, ou bien onirique, c'est-à-dire un cauchemar dont on s'est réveillé. Pour les uns comme pour les autres, « le Tambour » fut un choc.
C'est la vision dans les années 50, d'un enfant de trois ans avec un tambour autour du cou qui a hanté l'auteur, alors en panne d'inspiration. Puis l'idée est venue : un récit autobiographique des années noires, mais vu d'en-bas, en contre-plongée, du point de vue d'un gamin haut comme trois pommes. Ce point de vue narratif est déjà, en soi, un pied de nez à l'écriture romanesque traditionnelle. Mais ce n'est pas le seul : Oskar Matzerath (l'enfant au Tambour, param pam pam pam ) écrit ses mémoires du fond d'un asile d'aliénés, ce qui, pour le lecteur, jette un voile d'incrédibilité sur son témoignage. Important quand on pense que le sujet n'est autre que les années 1920 à 1950, période qui pour ce pays en particulier, n'est pas tout à fait anodine… Pour couronner le tout, le ton employé tient à la fois de l'absurde, de la dérision, de la satire, et en même temps du réalisme le plus noir, complaisant dans l'excès, bref il y a de tout dans ce livre, et à haute dose, ce qui donne une impression générale de cacophonie bizarre.
Et c'est bien ce que veut rendre l'auteur : Oscar, du haut de ses trois ans, évolue dans un monde où les idées ne comptent pas, où seules comptent les sensations. Cette innocence lui permet de garder un oeil neuf sur ce qui se passe autour de lui. Il est comme dans un manège où tout tourne autour de lui, mais personne ne sait si le manège va s'arrêter, ni quand, ni comment.
Le roulement du tambour sur lequel il joue à perdre haleine est à la fois un cri d'alarme et un cri pour ne pas s'entendre crier. Oskar raconte tout ce qu'il voit et ce qu'il ressent : les turpitudes de ses proches, ses aventures de tous ordres pendant ses pérégrinations à travers la guerre, il dit tout avec une verdeur pittoresque, certes, mais pas toujours bien venue. Gunther Grass, pendant des années (avant que « le Tambour » soit devenu un livre-culte, et adapté au cinéma), sera en butte à des attaques incessantes pour pornographie, obscénité, nihilisme, sans préjuger de toutes les arrière-pensées politiques qu'on lui prêtées.
Certes, il n'est pas innocent : si « le Tambour » est aujourd'hui considéré comme un chef-d'oeuvre de la littérature mondiale, il faut bien reconnaître qu'il n'est pas à mettre entre toutes les mains, et que Oskar n'est pas un modèle comme Tom Sawyer ou Oliver Twist…Quant au point de vue politique, ce n'est pas tant les nazis ou les antinazis que vise Grass, c'est plutôt l'atmosphère d'ignorance, de résignation, de veulerie, de pusillanimité du peuple allemand qui a laissé le chemin libre à Hitler et ses comparses.
« le Tambour » est un de ces livres dont on a du mal à se remettre : la lecture n'est pas spécialement difficile, mais il faut s'habituer à ce style éclaté, et surtout à ce ton d'ironie mordante, vacharde qui vous fait souvent rire jaune et penser : oh ben là il y va fort. Mais passé ce petit effort de concentration, je vous garantis que vous serez emballés par le mouvement et la puissance évocatrice du roman.
Et si vous n'avez pas tout saisi, allez voir le film de Volker Schlöndorff, qui en est la meilleure illustration.

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