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Critique de berni_29


Il m'aura fallu attendre plusieurs jours pour poser ces quelques mots sur cet immense roman qu'est le tambour.
Avec ce recul, je ne sais toujours pas comment l'appréhender dans son étrange ambivalence.
J'ai eu le sentiment tout au long de ma lecture de tenir dans les mains un monument, mais qu'à regret mon ressenti ne parvenait jamais à se hisser à cette hauteur.
Ce livre m'est tombé des mains non pas tout de suite mais plus tard, presque au-delà du tiers du texte.
Structuré en trois livres, le roman est d'une densité incroyable ; si j'ai été subjugué par la lecture du livre I, les choses ont commencé à se gâter à l'entame du livre II, s'agissant du livre III n'en parlons pas, je n'étais plus dans le récit…
Ce que j'aime découvrir dans un roman, - l'étonnement, le souffle, le rythme, les respirations entre les personnages, la capacité qu'a l'écrivain de créer un pouvoir d'évocation -, me semblaient bien présents dès les premières pages.
Le reste de ma lecture fut pour moi un profond ennui, percevant la puissance narrative du texte mais ne sachant vraiment jamais où Günter Grass voulait m'entraîner.
Tout avait pourtant bien commencé, lorsque la grand-mère du narrateur, jeune paysanne, fait la connaissance de manière insolite avec celui qui deviendra le mari de celle-ci, par conséquent le futur grand-père, celui-ci poursuivi par la maréchaussée trouvant son salut en se réfugiant sous les jupes amples de la jeune femme. Je crois bien que pour ma lecture il m'a manqué un tel salut…
Il me restera pourtant longtemps encore en mémoire des scènes, des images, des odeurs inoubliables…
Je me suis demandé tout au long de ma lecture qui était vraiment Oskar Matzerath, ce petit garçon qui hérite d'un tambour offert par sa mère à l'âge de trois ans et qui le même jour décide de ne plus grandir pour ne pas ressembler aux adultes. Oskar Matzerath devient alors le narrateur d'une histoire autobiographique confuse, témoin lucide et cynique de la folie, figure christique traversant le récit dans les convulsions qui emportent l'humanité.
Ce texte est obscène comme la guerre peut l'être, comme peut l'être le régime qui a engendré la seconde guerre mondiale. Ce roman dit cela, de manière picaresque et truculente, la montée du nazisme, son apogée, sa chute, l'innommable, la barbarie humaine, à partir de scènes de la vie ordinaire d'une ville de Pologne et de ses faubourgs, Danzig…
Je ressors de cette lecture avec bien des interrogations ? Même si je ne cours pas après les récits lisses de certitudes, - j'adore volontiers me perdre sans boussole dans les méandres, les digressions et les malentendus d'un récit -, ici j'aurais tout de même aimé savoir à quel endroit j'étais parvenu.
L'écriture singulière du roman qui est sans nulle doute sa force est-elle issue de la folie ?
Faut-il voir en Oscar Matzerath un personnage aliéné, cela expliquerait l'alternance des pronoms personnels entre le JE et le IL, parfois dans la même phrase ? Cela produit un perpétuel balancement entre le sujet et l'objet du récit, cela crée une double impression entre récit subjectif et objectif. Est-il témoin de l'Histoire, récusant tous les autres témoignages ? Mais le fait qu'Oscar Matzerath se défausse sans cesse du texte qu'il écrit lui-même pourrait expliquer l'aliénation du personnage, rendant impossible la manière de distinguer le vrai du faux.
Oscar Matzerath serait-il par analogie la représentation du peuple allemand se défaussant sur une tentative de lucidité, incapable d'assumer son Histoire, son destin solennel ?
Cette schizophrénie de l'écriture figurerait-elle donc celle d'un peuple allemand à la fois complice du pire totalitarisme qu'est connu le XXème siècle et sidéré de découvrir l'innommable au lendemain de la guerre, incapable de poser des mots, à la manière de ces habitants qui vivaient tranquillement à la périphérie des camps de concentration sans se poser la moindre question ? Il faut alors inventer une écriture à la démesure de cette sidération et ce fut Günter Grass, lui-même déchiré durant toute sa vie par cette ambivalence, qui s'y attela.
Alors Oscar Matzerath se donne la liberté de se mettre en retrait du monde, en décidant de ne plus grandir dès l'âge de trois ans, rythmant au son des roulements de tambour, dans un jeu musical et cynique, la montée du national-socialisme, l'adhésion presque unanime d'un peuple aux valeurs de ce régime, qu'il décrit dans la banalité et la candeur ironique et cruelle qui font le quotidien des peuples qui se mettent docilement à genoux devant leur tyran, révélant des-dessous peu reluisants d'une société qui s'en arrange bien, les ambitions malsaines, le silence, l'allégeance, la complicité, plus tard la culpabilité.
Et si Oscar Matzerath ne nous racontait rien d'autre qu'une scène d'une tragédie shakespearienne ?
« La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »
Dans ce récit qui prend parfois l'allure d'un mythe, j'aurais aimé être renversé dans le vertige de ce désastre, comme je le fus dans Voyage au bout de la nuit.
Il y a en effet dans le parcours initiatique d'Oscar Matzerath, ce personnage qui se confond peu à peu avec son jouet, l'obsession d'un tambourinage qui devient sa bouche, sa parole, ses gestes et rythme son parcours, dépassant le simple récit autobiographique.
Tout ceci aurait pu rendre ma lecture vertigineuse et incandescente… J'ai cherché en vain à revenir dans l'inspiration des jupes de la grand-mère mais le vent les avait déjà emportées dans la folie humaine.

Un grand merci à notre ami Pat (@Patlancien) de nous avoir proposé cette lecture commune qui a suscité bien de riches échanges. Merci aux autres aventuriers de l'équipage : Anna (@AnnaCan), Anne-So (@dannso), Chrystèle (@LaHordeDuContrevent), Delphine (@Mouche307), Isa (@Isacom), Jonathan (@JonathanLecuyer), Marie-Caro (@mcd30), Sandrine (@HundredDreams), Sonia (@indimoon) …
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