AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HundredDreams


J'ai lu « le tambour » de l'écrivain allemand Günter Grass, prix Nobel de littérature, grâce à l'invitation de Patrick (@Palancien) à le rejoindre dans une lecture commune. Sans cela, il est vraisemblable que je n'aurais jamais lu cet énorme pavé toute seule et si par hasard, je l'avais ouvert, il est vraisemblable que j'aurais eu du mal à aller jusqu'au bout sans le dynamisme et la motivation du groupe. Alors merci à tous pour cette lecture riche de la multiplicité de nos regards.

Ce roman est-il si mauvais à ce point ?
Et bien non, justement, et c'est cela qui est étrange, voire paradoxal. le nom de lecture commune n'a jamais aussi bien porté son nom. Après avoir franchi la barre des mille messages tant cette lecture est singulière et particulièrement riche de réflexions et de questionnements, il reste encore beaucoup d'interrogations après avoir refermé le livre.
Par certains côtés, j'ai trouvé ce roman excessivement intéressant, instructif, prenant, mais par d'autres, je l'ai trouvé long et ennuyeux, impénétrable par les multiples interprétations et même parfois inaccessible par manque personnel de références ou par la volonté de l'auteur de rester évasif.

*
A ce propos, alors que Günter Grass s'engage volontairement dans la Waffen-SS à l'âge de 17 ans, Oscar, quant à lui, lui refuse de grandir et de voir le monde extérieur tel qu'il évolue et devient. Troublant.

Le jour de ses trois ans, Oscar décide d'arrêter de grandir pour ne pas ressembler aux adultes. Au rythme du tambour en fer-blanc, il égrène les événements de sa vie pris dans le mouvement de l'histoire allemande.
Ainsi, il raconte les origines de sa famille et retrace, sur environ un demi-siècle d'histoire, une époque effroyable : l'entre-deux-guerres, l'arrivée au pouvoir du régime nazi, la nuit de cristal, les exactions envers les juifs, la défense de la poste polonaise, le seconde guerre mondiale jusqu'à l'entrée des troupes soviétiques à Dantzig, l'Allemagne d'après-guerre jusqu'aux années 50.

De ces pages, me resteront la force évocatrice de certaines images accompagnées d'odeurs entêtantes, persistantes, agressives, qui rendent la lecture immersive : la rencontre insolite de ses grands-parents maternels dans un champ de pommes de terre sous une pluie froide d'octobre ; un papillon de nuit, témoin de l'étrange naissance d'Oscar sous l'éclairage de deux ampoules de soixante watts ; son cri vitricide le premier jour de la rentrée des classes ; la pêche à l'anguille un vendredi Saint ; l'histoire de Niobée, une figure de proue ensorcelée ; l'érotisme déconcertant de la poudre effervescente de son premier amour.

*
Qui est Oscar ?
Je me suis posée la question tout du long de ces presque 800 pages. Jamais un personnage n'aura été dessiné de manière aussi flou et imprécise. Pourtant tout le récit tourne autour de lui, mais l'auteur l'a voulu ainsi, c'est indéniable.
Oscar paraît vouloir se livrer mais en même temps, se cachant derrière les non-dits, des imprécisions qui entretiennent sans cesse le doute et la perplexité. Ce voile, pour moi, ne s'est jamais levé et je suis restée rivée à ce personnage étrange, peu sympathique et malaisant qui se défile comme une anguille quant à sa vie et à cette période sombre de l'histoire allemande.

« … qui parmi les adultes pouvait à cette époque comprendre le mystère d'Oscar, de ses trois ans à perpétuité, de son tambour de fer ? »

Est-il un enfant, un adolescent, un nain, un bossu adulte ?
Est-il un enfant avec des réflexions d'adulte ou un adulte avec un regard d'enfant ?
Est-il resté enfant toute sa vie ou est-il né déjà adulte, porteur d'un regard froid, obsessionnel et distant sur son monde ?
Est-il un simple observateur qui ne prend pas parti, qui ne juge pas ? Est-il un homme qui ne vit que pour lui et se moque du sort d'autrui ? Ou est-il un déséquilibré, un malade mental, un monstre sans émotions ni sens moral, sans empathie ni compassion, un personnage indifférent et insensible à la souffrance et à la mort d'autrui, à la cruauté et à l'inhumanité de la guerre et des hommes ?
Est-il violent, pervers, immoral, sournois, manipulateur ? Ou bien ce détachement est-il sa façon de se défendre, de se protéger de cette époque si violente et barbare ?
Oscar est-il une allégorie ? Et, en ce sens, porte-t-il le fardeau de la responsabilité collective allemande des actes nazis ? Cela pourrait-il expliquer pourquoi Oscar décide de succéder au Christ et de se faire appeler Jésus dans une partie du roman ?
Sûrement est-il tout cela à la fois, un homme aux multiples visages.

« Oscar, c'est-à-dire moi, exprimait expressivement l'image détruite de l'homme, accusatrice, provocante, extra-temporelle, et cependant en communion expresse avec la folie de notre siècle. »

Malgré sa personnalité complexe et son caractère ambigu, Oscar est un personnage fascinant, mystérieux que j'ai adoré suivre dans la première partie du roman. Pourtant, peu à peu, mon intérêt pour lui s'est émoussé, mon attention s'est relâchée, comprenant qu'il me resterait inaccessible, que l'auteur ne me révèlerais pas le fond de sa pensée.

*
Günter Grass entretient également la confusion dans son style, alternant une narration à la première et troisième personne du singulier. J'avoue être restée perplexe sur ce procédé : le changement de point de vue du narrateur donne l'impression qu'Oscar se désolidarise, se dissocie en deux entités, chacune ayant sa propre façon de penser et de se souvenir d'elle-même et de sa vie.
Je me suis même demandée si parfois, le Oscar-adulte ne parlait pas à travers le Oscar-enfant, ce qui aurait pu expliquer pourquoi cet enfant présentait une maturité intellectuelle, langagière et sexuelle.

Après de nombreux échanges dans le groupe, l'explication de l'historien Thomas Serrier m'a convaincue : il y voit un « procédé d'esquive bien connu de Freud et des psychanalystes », le "je" se défaussant constamment sur le "il'' du texte.

Cet éclaircissement, indispensable pour y voir un peu plus clair dans la narration, m'a aussi permis de comprendre mes difficultés à cerner Oscar, d'autant plus qu'est très présent un ton ironique et grotesque, enfantin et faussement naïf qui brouille la ligne de démarcation entre la réalité et la fiction, le vrai et le faux, la religion et le blasphème, l'amour et la haine, l'innocence et la noirceur de l'âme.

Il reste la question du tambour car alors qu'Oscar louvoie entre deux voix / deux voies, il ne fait qu'un avec son tambour. Cette musique rythmée, il m'a semblé l'entendre dans l'écriture scandée de l'auteur, dans ses longues phrases enchaînées par juxtaposition. le tambour semble un prolongement de son corps, c'est sa voix, l'instrument qui lui permet de communiquer.

*
C'est un livre dense, très riche, qui se lit lentement pour sonder le passé d'Oscar, pour en apprécier la langue (ou la traduction), le style verbeux presque suranné, l'écriture distante presque désincarnée, les situations tragicomiques illustrées par des images envahissantes, les odeurs prégnantes, les couleurs qui s'imposent au regard, les sensations fluctuantes.

*
Assez éloigné de mes goûts livresques, moi qui aime les romans plus courts et surtout qui ne me laissent pas avec une impression d'inachevé et de questions laissées en suspens, je dois tout de même avouer que j'ai vécu une incroyable expérience littéraire avec cette lecture commune.
« le Tambour » a été un roman difficile à lire : certains passages m'ont impressionnée par leur puissance visuelle et sensorielle, en particulier dans la première moitié du livre. Son réalisme magique et sa valeur historique auraient pu me séduire, mais mon intérêt a eu du mal à se fixer sur l'ensemble des chapitres.
Un roman singulier, étrange, dérangeant, qui fait réfléchir et ne laisse pas indifférent, mais qui amène de trop nombreuses questions sans réponse.

*
Encore un grand merci à tous mes compagnons de lecture sur cette formidable LC : Anna (@AnnaCan), Sonia (@indimoon), Chrystèle (@HordeDuContrevent), Isabelle (@Isacom), Marie-Caroline (@mcd30), Anne-So (@dannso), Delphine (@Mouche307), Bernard (@berni_29), Jonathan (@JonathanLecuyer), et Patrick (@Patlancien). Rien que pour tous nos échanges, cette lecture valait vraiment le coup.
Commenter  J’apprécie          5938



Ont apprécié cette critique (58)voir plus




{* *}