AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


Quatre années passées à écrire frénétiquement des critiques quasi quotidiennes sur Babelio, dont voici la 1100 ème aujourd'hui. Et tout ça pour quoi ? Pour finir par vous parler d'un conte que tout le monde connaît depuis sa plus tendre enfance ?

On attendrait autre chose : le Jeu Des Perles de Verre, Les Frères Karamazov, Autant En Emporte le Vent, 1984, le Docteur Jivago, Robinson Crusoé, Une Vie, les Lettres Persanes, Germinal, Seul Dans Berlin, enfin bref, un vrai livre, quoi.

Et au lieu de ça : Cendrillon ! Oui, j'assume ce choix douloureux, ce choix ambitieux, ce choix fastidieux au risque d'être incomprise de mes contemporains et d'en supporter les ires et les foudres pendant quatre générations : je vous parlerai de Cendrillon, ne vous déplaise. À la nuance près qu'il s'agit de la Cendrillon des frères Grimm.

Celle que vous connaissez, c'est celle de Perrault (voire celle de Disney), mais celle des frères Grimm, la connaissez-vous vraiment ? D'ailleurs, combien savent encore ce que signifiait, à l'époque de Perrault ou des frères Grimm, le terme " cendrillon " ?

Souvenez vous que Perrault nous dit que l'aînée des soeurs l'appelle Cucendron et que Cendrillon est une forme plus " sympathique ". Cucendron : littéralement, cul maculé de cendres, c'est-à-dire, le terme que l'on utilisait pour désigner le chaudron qui restait à demeure dans l'âtre de la cheminée pour la tambouille quotidienne.

Donc, surnommer quelqu'un de " Cendrillon " à l'époque reviendrait presque à dire de nos jours à une jeune demoiselle : " Hé, toi, la femme au foyer ", ou " Ho, la ménagère de moins de 50 ans " voire même " Hep ! reste à la niche, Bonniche ! " Et dire qu'il se trouve des gens pour appeler leur fille Cindy ! Pauvres petites, j'espère qu'elles n'apprendront jamais l'origine de leur prénom.

Bref, dans la tradition allemande recueillie en dialecte hessois (région de Francfort) par Jacob et Wilhelm Grimm, il n'y a ni marraine, ni citrouille, ni souris, ni rats, ni lézards pour faire un bel attelage et il n'est donc jamais question de l'heure fatidique de minuit.

En revanche, Cendrillon se rend trois jours de suite au bal et chaque jour dans une tenue qui irradie plus de magnificence. L'élément magique ici, c'est la triple combinaison du recueillement pieux sur la tombe de sa mère, du noisetier qu'elle y a planté et de l'oiseau blanc qu'elle y rencontre chaque matin.

Les Allemands ayant un esprit beaucoup plus cartésien que le nôtre ont dû juger que l'histoire de la godasse perdue dans la précipitation était peu crédible et l'ont remplacée par un élément irréfutable scientifiquement.

Le soir du troisième bal, le prince déçu de toujours perdre celle avec laquelle il aimerait se marier décide d'engluer les marches de l'escalier dérobé avec de la poix. Si bien que quand la gente demoiselle pose son escarpin délicat dans la mixture collante, celui-ci reste immédiatement prisonnier.

Ah ! ils ont l'esprit pratique ces Allemands, y a pas à dire ! Bon, ce serait peut-être un rien moins poétique que dans la version originale mais en tout cas, scientifiquement tout colle, c'est le cas de le dire. Faut-il que j'aborde la séance d'essayage de pantoufle poisseuse ?

Bon, d'accord, comme vous voudrez. Là où Charles Perrault se contentait de dire que toutes les filles ne pouvaient entrer leur pied dans la pantoufle, le lyrisme allemand rajoute une petite touche personnelle.

L'aînée des soeurs se sectionne le gros orteil pour l'enfiler et la cadette se tronçonne le talon. de sorte que les deux parviennent à chausser la tatane mais, c'est au sang qui dégouline qu'on s'aperçoit finalement qu'elle n'est pas à leur taille. Si bien que…

Oui, vous avez deviné, la charmante et brave Cendrillon va donc passer son joli pied-pied dans la petite chaussure maculée de poix, inondée à l'avant du sang de la soeur aînée et à l'arrière du sang de la cadette, d'où l'expression, sans doute, trouver chaussure à son pied.

Okay, c'est un tout petit peu plus gore outre-Rhin mais c'est d'une logique implacable. de même, on sent un petit esprit revanchard dans la version des frères Grimm à l'endroit des deux horribles frangines.

On se souvient que la Cendrillon de Perrault, magnanime, avait pardonné aux affreuses et leur avait même trouvé à chacune un parti avantageux. Ici, il n'en est pas tout à fait de même. Non contente de l'automutilation, la tradition populaire germanique a fait en sorte que lors du mariage de Cendrillon, les oiseaux d'Hitchcock soient présents à la cérémonie et aillent crever les yeux des deux vilaines. Bien fait pour elles…

Mais aimez vous quand même les uns les autres nous précise le conte, car il faut être pieux et bien aller prier tous les soirs sur la tombe de sa maman. Bonne nuit les enfants.

Au demeurant, est-il encore besoin de préciser que ceci n'est qu'un avis au cul cendreux ? C'est-à-dire bien peu de chose.
Commenter  J’apprécie          10913



Ont apprécié cette critique (98)voir plus




{* *}