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Critique de Sarindar


C'est souvent après une somme que l'on ose les courtes synthèses. Fait-on là le meilleur ?
En 1939, date fatidique, René Grousset, grand historien orientaliste de son temps, donna à un plus large public qu'aux lecteurs de son impressionnante Histoire des Croisades un beau résumé et une galerie de portraits en même temps qu'un récit chronologique des grandes étapes de la geste franque en Terre Sainte et plus largement au Moyen-Orient. Il l'intitula, pour faire beau et parce qu'il y fallait donner un peu de lyrisme en ces temps où la France commençait de douter d'elle-même : L'épopée des Croisades.
Grousset avança au même pas dans cette double description imbriquée l'une en l'autre :
-portraiturale avec des personnages clés comme le Pape Urbain II, choisi comme figure inaugurale, Pierre l'Ermite, aveuglément considéré comme une figure populaire et un saint homme, alors qu'il fut certainement plus un illuminé quelquefois bien inspiré (mais pas souvent), les trois grands seigneurs (Godefroy de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles et Bohémond de Tarente plus les Tancrède et les Baudouin) comme réalisateurs de l'impossible devenu réalité (aller jusqu'à Antioche, Tripoli, Édesse et Jérusalem, et prendre ces villes et en faire les centres de principautés chrétiennes ou de royaumes latins), Baudoin de Boulogne et Baudoin II valorisés dans leur travail de création et de consolidation du royaume hiérosolymitain, les couples ennemis Foulque contre Zengi, Louis VII qui se fourvoya dans l'attaque contre Damas qui aurait pu être une cité musulmane alliée ou neutre, Baudoin III contre Nour ed-Din à l'apogée du royaume, Amaury 1er et le mirage égyptien, l'héroïque sursaut du roi lépreux Baudoin IV contre Saladin, la revanche de ce dernier sur le prétentieux et médiocre Guy de Lusignan, le triumvirat - regards en coin - formé par Conrad de Montferrat, Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion pour empêcher Saladin de profiter de la reprise de Jérusalem pour rejeter tous les Francs à la mer et le coup d'arrêt donné à Saint-Jean-d'Acre, l'action d'Henri de Champagne et d'Amaury de Lusignan, les vertus chevaleresques de Jean de Brienne qui manqua la réalisation de son objectif égyptien de fort peu (par la faute du cardinal-légat Pélage), la croisade sans y croire et toute diplomatique de l'Empereur Frédéric II de Hohenstaufen qui permit à la Chrétienté de recouvrer brièvement Jérusalem, la rêverie de Thibaud de Champagne et de Philippe de Nanteuil, les expéditions pour l'honneur et pour la Croix du saint roi Louis IX (dont la canonisation sous Philippe IV le Bel donna aux Capétiens plus de prestige encore), enfin les derniers sursauts des derniers îlots de résistance des Croisés le long du littoral syro-libano-palestinien et l'abandon de leurs derniers points d'appui, tout est dit sur le mode de l'épopée, grâce à ceux qui l'ont faite ;
- chronologique, avec les moments-clés, les épisodes charnières, les succès provisoires, les efforts surhumains et désespérés et les drames, de 1095 (le prêche) à 1291 (la chute définitive de Saint-Jean-d'Acre), en passant par la prise (sanguinaire et violente) de Jérusalem en 1099, la perte d'Édesse en 1144, qui entraîna un nouvel appel à la croisade, la défaite de Guy de Lusignan à Hattin en 1187 qui amena Saladin à s'emparer de Jérusalem, etc.
L'épopée avait beau être belle, elle n'était que rêve pour deux siècles de bravoure et d'effusion de sang, de confrontation et de dialogues manqués mais fructueux sur d'autres plans entre l'Occident chrétien plein d'une jeune vigueur et plein de présomption et un Orient musulman à l'aise sur son propre terrain. L'épopée ne pouvait s'achever que sur la ruine d'une entreprise construite comme un château de sable. Et René Grousset fut l'un des derniers nostalgiques de ce passé maintenant heureusement bien dépassé et fort éloigné dans le temps. Cela malgré toutes les tentatives européennes, américaines et autres de s'immiscer dans les affaires moyen-orientales ou proche-orientales (où les intérêts énergétiques jouent un grand rôle, en Arabie, en Irak, au Koweït, en Iran, etc.)

François Sarindar
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