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Critique de Apoapo


Incipit : « Le corps, un livre non écrit mais qui ne demande que ça. L'écriture c'est une histoire intérieure imprimée. En nous, elle mord et se défend de le faire. Elle marque, cogne, gifle, parfois caresse. Une épitaphe joyeuse inscrite en dedans à qui on donne vie, qu'on sort de la tombe. Écriture et tatouage, ensemble : des gestes premiers et indélébiles, qui réveillent des peaux qui avaient cessé de vivre. le tatoué et le regardeur, l'écrivain et le lecteur. Se faire dessiner le corps, c'est muter et devenir personnage, se "fictionner". »

J'ai toujours des résistances à l'égard de la prose postmoderne, dissonante et syncopée – c-à-d. lexicalement et syntaxiquement fracturée – qui soutient le parallèle avec la musique atonale voire le hard rock.
En contrepartie, j'ai invariablement une grande attirance envers les architectures hardies, les constructions narratives complexes. En cela cet ouvrage me comble.
Il promet juste des « histoires vraies de tatoués qui ne se connaissent pas et ne se connaîtront jamais », et nous offre davantage. Sous chacun des chapitres intitulés par un infinitif qui caractérise, de manière inattendue, un aspect de la démarche du tatoué : Aimer, S'électrifier, Se taguer, S'édifier, Changer, Grandir, Cicatriser, S'historiser, S'affronter, Se morceler, Être marqué, Trouver le dragon, Couper, S'écrire, se déroulent (sauf le dernier) trois récits qui s'emboîtent et se font écho de façon diablement sagace : l'un, autobiographique, qui retrace l'histoire des tatouages réalisés sur le corps de l'auteure – avec un petit clin d'oeil dédicatoire à sa mère grièvement malade – ; le deuxième, contemporain, tiré de la mise en forme littéraire des observations et des conversations avec certains clients, nommés, du mari de l'auteure, tatoueur de son métier ; le troisième, historique, avec l'indication du lieu, de la date et de la circonstance, qui narre une histoire ancienne de tatouage ou un événement s'y rapportant. En général le premier récit est écrit en italiques, et, pour compliquer encore sa structure, il se présente parfois comme une série de textes proférés par des personnages imaginaires ou abstraits, ex. : « le sentiment amoureux », « l'arbre », « le corps marqué »..., et comporte quelquefois de citations. L'auteure se réfère à elle-même comme « la fille-livre ». Dans les trois récits de chaque chapitre, les techniques narratives utilisées sont, pour la plupart, celles de la nouvelle, avec tout ce qu'elle implique d'ellipses, de concision, de soin pour une chute inopinée et surprenante. Les premiers chapitres, peut-être à cause de l'effet de surprise, peut-être par l'urgence que l'auteure avait à les raconter, m'ont semblé à la fois renfermer des histoires plus intéressantes – celles que l'auteure cite aussi dans une vidéo de présentation du livre – et avoir été mieux construites dans le jeu perspicace de renvois entre les récits dont je parlais. Mais le livre se lit rapidement et l'intérêt ne se distend pas. En le refermant, un tableau très vaste et multiforme émerge des implications psychologiques, des références esthétiques, historiques, culturelles ainsi que de certaines motivations qui animent cette pratique culturelle devenue récemment banalisée. Par ailleurs, j'ai beaucoup apprécié la photo de couverture, représentant Olive Oatman en 1863, dont l'histoire est aussi contée dans le chapitre « Être marqué » : le regard profond et intelligent de cette jeune fille en coiffure et habits victoriens, avec son menton tatoué, de par le contraste entre un classicisme certain et un unique élément disruptif dans ses traits, entre en résonance, emblématiquement, avec le style du livre.
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