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Critique de Luniver


Drôle de livre, rencontré par un hasard dans les tréfonds du web, que ce "Suicide, mode d'emploi". le titre, accrocheur, donne clairement le ton : les auteurs défendent bec et ongle le droit au suicide pour chacun, et réclament que les "recettes" de la médecine pour une mort sans douleur soient mises à la disposition du grand public.

L'essai commence par la vision actuelle (au moment d'écrire le livre, soit vers 1980) du suicide en France. Les recommendations sont claires : on ne doit surtout pas en parler, ni dans les journaux, ni dans les médias, par peur de la "contagion" (entendre parler d'un suicide réussi pousserait les désespérés à passer à l'acte à leur tour), surtout chez les jeunes. le suicide est régulièrement mis sur le même pied que la délinquance et l'alcoolisme. Les rares études sur le sujet donnent des conclusions surréalistes : la prise de la pilule favoriserait le suicide, ou le délicieux "Ainsi la Suède, pays qui possède la double caractéristique d'être un pays heureux et un pays plongé dans la nuit toute une partie de l'année, a le regrettable privilège d'avoir le taux de suicide le plus élevé du monde sans qu'il soit possible de déterminer lequel de ces deux facteurs est fondamental."

On passe ensuite en revue comment le phénomène est vu à travers les âges : notion floue dès l'antiquité, avec le droit romain qui crée les notions de suicide "excusable" et "inexcusable", avec saisie de l'entièreté des biens au profit de l'état dans ce second cas. Quant à la tentative de suicide chez les soldats, elle est tout simplement punie... de mort. Les choses évoluent avec l'Église, qui considère que le "Tu ne tueras point" s'applique aussi à soi-même, et range donc la tentative de suicide parmi les crimes, "non seulement du côté de la religion en ce qu'ils entraînent en même temps la perte de l'âme et du corps, mais encore relativement à l'ordre politique suivant lequel l'on devient par sa naissance comptable de ses jours à son prince, à sa patrie et à ses parents". le suicidé devient traître à Dieu, et traître à l'humanité. Cependant, la justice a forcément un peu de mal à punir les coupables, puisqu'ils échappent par définition à toute punition. Qu'à cela ne tienne, elle aura tout de même le dernier mot : pendaison du cadavre (!) et biens confisqués. Avec Louis XIV, le sort du cadavre s'améliore : il a désormais droit à un procès équitable, accompagné d'un curateur pour le défendre (le but étant de plaider la folie pour que les héritiers conservent les biens). Les pressions se relâchent progressivement sur les tentatives de suicide, en plaidant la folie, mais les pressions sociales restent présentes : impossibilité d'être enterré en terre consacrée, propositions d'humiliations posthumes ("Son nom serait publié à l'Officiel, en le faisant suivre par exemple de ces mots : ‘Suicidé, lâche déserteur de ses devoirs d'homme et de citoyen'").

Les casses-têtes juridiques sont ensuite évoqués : comment gérer le cas du suicide pour les assurances vies ? dans les tentatives de suicide à plusieurs, faut-il poursuivre les éventuels survivants pour homicide ? Doit-on condamner quelqu'un qui n'a pas sauvé (contre son gré donc) une personne suicidaire ? Où s'arrête la "complicité" ? à l'achat du revolver ? au dépôt de médicaments en dose mortelle sur la table de chevet ? Les tribunaux n'ont jamais réussi à trancher clairement ces différentes situations et sont traitées au cas par cas, généralement en suivant l'émotion populaire.

Les auteurs vont ensuite jusqu'au bout de leur idée, en proposant une liste de médicaments garantissant une mort en douceur, et leurs doses mortelles respectives, ainsi que des ordonnances types pour obtenir les produits en question. Pour ce chapitre, les auteurs ont été condamnés et le livre censuré en France. En ce qui me concerne, l'énoncé de toutes les conséquences (coma, dommages cérébraux, troubles digestifs, agonie qui peut durer des jours, ...) me semble plus dissuasif qu'autre chose, à tel point que je me suis demandé si toute cette liste n'avait pas finalement pour but de détourner les gens de ce moyen.

Suicide, mode d'emploi nous force à nous poser beaucoup de questions, mais malheureusement il n'est pas très bien découpé. En bons anarchistes, les auteurs tapent sur l'État, l'Armée, l'Église et la Médecine, mais de façon un peu désordonnée, et en sautant régulièrement du coq à l'âne. On passe notamment en revue les crimes de "terroristes" maquillés en suicide, les suicides maquillés en accidents, les politiques d'eugénisme, l'acharnement thérapeutique. Un autre point decevant est que les auteurs sont tellement convaincus du droit au suicide qu'ils n'argument pas leur propos : ce droit est indéniable, point. Ceux qui sont contre sont des liberticides. Pourtant, il faut tenir en compte que les tentatives peuvent être seulement des "au secours" désespérés, sans réelle volonté de mourir, et ça rend toutes ces questions beaucoup plus complexes.
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