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Critique de raton-liseur


Etrange, ce titre, dans une collection de livres qui s'appelle « Résistances », mais ce titre m'a tout de suite attirée dans la dernière masse critique de Babelio, parce que c'est un son de cloches qu'on entend rarement, mais qui n'en est pas moins intéressant. Ce n'est pas parce que ce n'est pas l'idéologie qui a gagné qu'il ne faut pas s'intéresser à ceux qui y ont cru et à pourquoi ils y ont cru. Ce livre n'a pas répondu à mes questions, mais sa lecture, si elle n'a pas été véritablement instructive, en a été très intéressante.
Philippe Laborie, qui présente et annote ces mémoires, nous permet de les remettre dans leur contexte. Celui de la constitution puis de l'extermination du maquis du Vercors. Celui aussi d'une historiographie qui nous fait parfois croire que toute la population civile était derrière ses maquisards. Avec ses mémoires, écrites sur le moment (avec un petit délai cependant que l'on note avec les expressions telles que « j'apprendrai plus tard que... »), Monique Guyot exprime tout le mépris qu'elle ressent pour ces dissidents, terme qu'elle préfère à « Résistants » comme ils s'appellent eux-mêmes ou à « terroristes » comme disent les Allemands). Mais ces mémoires ont ensuite été relues, dans les années 80, et il est intéressant de voir que Monique Guyot n'y change rien sur le fond, et pas grand choses sur la forme, même certaines phrases d'une ironie plutôt méchante face à ces dissidents. Et elle fera même les démarches nécessaires pour que ces sept cahiers d'écolier arrivent entre les mains des historiens, preuve qu'elle considérait son témoignage comme pertinent, et ce malgré le fait que ses opinions n'étaient pas particulièrement bien vues dans les décennies de l'après-guerre.
La lecture du journal en lui-même est plutôt laborieuse, du moins elle l'a été pour moi avec mon bagage historique plutôt léger. Laborieuse parce que Monique Guyot apparaît dans ces pages comme une petite bourgeoise provinciale et catholique caricaturale, pleine de la suffisance et de la certitude d'être la seule à avoir raison que l'on associe en général à cette catégorie de la population. Et il faut arriver à dépasser la mauvaise foi et la méchanceté un peu gratuite à laquelle cela la pousse dans son écriture. Une fois cet obstacle franchi, reste un texte qui n'explique pas vraiment les raisons des convictions pétainistes de l'autrice, c'est trop une évidence pour elle, mais qui montre clairement où sont ses priorités : l'ordre et qu'on la laisse tranquille. Les dissidents, parce qu'ils remettent en cause le seul pouvoir qu'elle reconnaît, celui de Pétain, parce qu'ils provoquent des représailles sur les civils ou parce qu'ils se ravitaillent de façon un peu forcée, ne peuvent trouver grâce à ses yeux. Elle n'aime pas non plus les Allemands (ni les Juifs d'ailleurs, ni les Républicains espagnols…), donc elle n'est pas collabo, ce qui fait qu'elle est toujours sur un fil de rasoir bien ténu, avec une position difficile à défendre : elle exècre l'occupation allemande, mais elle exècre encore plus ceux qui luttent contre. Et elle ne voit pas les contradictions de ses propos. Par exemple, elle fustige l'inexpérience des dissidents mais n'est pas contente de les entendre s'entraîner à tirer.
Si pour ma part j'ai eu du mal à trouver cette lecture instructive (parce que je n'ai pas les connaissances historiques nécessaires, parce que ce livre ne répond pas à la question que je voulais lui poser, à savoir pourquoi l'on devient, l'on est et l'on demeure pétainiste, voire collabo, je ne faisais pas assez la distinction entre les deux avant cette lecture), je l'ai trouvée très intéressante car elle m'a permis de m'interroger sur la façon dont l'opinion se crée et s'entretient, sur la difficulté qu'il peut y avoir à entrer en débat avec des personnes dont les opinions semblent avant tout des croyances, voire des dogmes. Cette question est d'une grande actualité, et étrangement c'est ce parallèle qui m'est apparu tout au long de ma lecture.
Ce livre est très certainement un document historique passionnant pour ceux qui sauront mieux que moi le déchiffrer et l'analyser, je n'en ai récolté que la superficielle crème et c'était déjà très bien. C'est aussi un livre qui illustre à merveille le biais de confirmation, un concept à la mode en ce moment, étrange lien entre ce livre et la BD L'esprit critique, que j'ai tous deux reçus grâce aux deux dernières masses critiques de Babelio !
En définitive, le témoignage de Monique Guyot, malgré une certaine mauvaise foi, demeure important. Important parce qu'il est l'expression de ce que pensait une part probablement non négligeable de la population de l'époque. Si je remonte dans mon arbre généalogique, je peux citer quelques personnes dont je pense qu'elles auraient pu écrire la même chose, dans d'autres circonstances, mais les mêmes sentiments, et on en a tous probablement dans nos familles.
C'est donc un travail important et utile qu'a fait Philippe Laborie, et je remercie les presses universitaires de Grenoble de m'avoir permis de lire ce livre, dans le cadre de la masse critique de Babelio. Une lecture parfois horripilante, mais qui fait réfléchir sur hier et sur aujourd'hui, et c'est nécessaire.
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