Publié chez
Fata Morgana, «
La Raison de l'oiseau » est un recueil de poèmes attribués à
Tshanyang Gyatsho, le VIème
Dalaï-Lama. Personnage religieux qui vécut de 1683 à 1705, il restera dans l'histoire comme très controversé.
À sa prise de fonction à l'âge de 15 ans, il avait déjà pour habitude de s'habiller de manière flamboyante, il parcourait les rues et les bordels, buvait de l'alcool en public, participait à des compétitions de tir à l'arc et faisait des coups avec ses amis...
En réponse à ce comportement pour le moins particulier pour un représentant religieux,
Tshanyang Gyatsho fut bientôt destitué et arrêté par les Mongols qui régnaient alors sur le Tibet. Cependant, les moines du monastère de Drepung vinrent au secours de leur maître, ne doutant pas qu'il était la véritable réincarnation du Vème
Dalaï-Lama. En représailles, les troupes mongoles attaquèrent le monastère mais pour empêcher toute effusion de sang
Tshanyang Gyatsho se rendit. Alors qu'il était emmené vers la Chine, le sixième
Dalaï-lama tomba malade et mourut, il n'avait que 23 ans. On soupçonne encore aujourd'hui qu'il a été assassiné. C'est à ce jour le seul corps d'un
Dalaï-Lama qui n'ait pas pas être enterré à Lhassa.
Malgré cette vie mouvementée,
Tshanyang Gyatsho a laissé derrière lui des poèmes en vers. Des poèmes ? À l'origine, pas vraiment. Respectant des règles de composition,
Tshanyang Gyatsho ne faisait que les chanter ou les murmurer. C'est en les écoutant ou de mémoire que ces paroles furent consignées par écrit par des moines proches du jeune
Dalaï-Lama.
« Mon aimée, de toutes la plus belle,
nous étions l'un à l'autre devenus si chers
qu'il me fallait un répit :
je suis parti dans un ermitage de montagne ! »
Les thèmes des poèmes de
Tshanyang Gyatsho ne sont pas très nombreux. L'amour et la nature sont ceux qui reviennent le plus souvent. On sent chez le jeune
Dalaï-Lama le tiraillement entre la vie religieuse et ses amours. La forme brève des poèmes laisse entrevoir un coeur passionné et nostalgique, résolu et inventif.
« Biens et plaisirs, richesses vaines
passionnément entassées…
jusqu'à ce que mon amie d'enfance
vienne me libérer du joug de la cupidité ! »
Ses textes n'adhèrent pas aux normes strictes du langage écrit (cela confirme qu'ils étaient à l'origine des poèmes oraux), ils sont pour la plupart faciles à comprendre, teintés d'une douceur et d'une signification qui laisse assez peu de place à l'interprétation. La présence, la séparation, la distance, la rupture, le souvenir, le regret, le désir,
Tshanyang Gyatsho semble scruter tous les états du coeur amoureux.
La nature et ses éléments, les saisons, les animaux sont eux aussi très présents. Ils sont les révélateurs de la personnalité du jeune
Dalaï-Lama.
« Rivière lente lente,
les pensées des poissons s'étirent et s'étirent,
ces pensées indécises leur sont un bien-être
du corps et de l'esprit ! »
Ce recueil est une belle publication, rempli de notes très instructives mais la traduction des poèmes, aussi intéressante soit-elle, marque ses limites pour rendre compte de la singularité des textes qui à l'origine jouaient sur les consonances et les homophonies, sur l'utilisation des sons comme structure. Reste le sens et les images d'une belle sensibilité. Un précieux héritage poétique venu du Tibet.
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