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Critique de tamara29


Merci à Babelio et aux éditions Presses Universitaires de France pour l'essai « L'art urbain » de Nicolas Gzeley, Nicolas Laugero-Lassere *, Stéphanie Lemoine et Sophie Pujas.
J'imagine que personne ou presque n'a pu échapper au phénomène international qu'est l'art urbain ces dernières années. Qui n'a pas entendu parler de l'autodestruction partielle de l'oeuvre ‘'La petite fille au ballon rouge'' de Banksy, chez Sotheby's, à Londres, en octobre dernier ? Ou encore de JR avec ses collages à la pyramide du Louvre (et créateur du documentaire avec la merveilleuse Agnès Varda « Visages Villages ») ? Qui n'a pas croisé au détour d'une balade dans une ville de France et de Navarre de petits pochoirs sur un mur, des fresques sur un immeuble ou encore des graffiti sur les rames de métro ? Sans forcément connaitre leur nom (ou pseudo pour ceux voulant garder l'anonymat), on croise souvent dans les rues, sur la toile ou d'autres supports média des oeuvres de MissTic (avec ses femmes et jeux de mots en pochoir sur les murs de Montmartre, etc.), celles de Shepard Fairey (créateur du poster Hope de Barack Obama, réalisé pour sa campagne présidentielle de 2008), les mosaïques tirées de jeux vidéo d'Invader, ceux de C215, Bleck le rat, etc. etc.
Très hétérogène, cet art n'est finalement pas si facile à définir puisqu'il englobe à la fois street art, graffiti, collage, pochoir, muralisme, etc. D'ailleurs, « pour certains le street-art désignerait des pratiques commerciales conçues pour les média et le marché, tandis que le second (graffiti) resterait marqué par l'underground et la transgression ».
Les auteurs de cet essai (journalistes, écrivains et même collectionneur d'art) rappellent tout le paradoxe, voire l'antinomie, de faire entrer dans des galeries, des musées éphémères ou non, des oeuvres provenant de l'art urbain, puisque par définition ces oeuvres naissent de la ville, en extérieur. Elles sont même souvent vouées à être abimées et détruites par le temps, l'évolution de la ville, par des personnes hermétiques à cette forme d'art ou encore par certains peu scrupuleux qui les volent tout simplement (tel le vol d'une oeuvre de Bansky sur un mur de Londres retrouvée ensuite sur un site d'une maison de ventes).
Ce petit essai est très instructif pour tous ceux qui s'intéressent ou apprécient un tant soit peu l'art contemporain, et l'art urbain en particulier. Les auteurs posent en effet les bases historiques et sociologiques – notamment par les tags aux Etats-Unis dans les années 60 venant des gangs pour se différencier les uns des autres, marquer leurs territoires, devenant un jeu, une compétition.
Ils montrent les évolutions qui se sont opérées jusqu'à nos jours, notamment du style writing, font référence aux premiers artistes à se faire un nom (Basquiat, Keith Haring,..) jusqu'aux plus banquables de ces dernières années. Pour les premiers artistes de ce mouvement, cela relevait d'un acte social, militant, engagé (n'oublions pas la période 1968), pour faire parler la ville, les communautés et minorités, dénoncer certains évènements, les problèmes sociaux et urbains.
Et pour eux, cela doit se passer forcément dans la rue, lors de créations « in situ », et non pas dans des galeries, musées figés, peut-être trop stéréotypés. L'art urbain n'est pas que l'image des tags et du hip hop new-yorkais, c'était aussi en rapport à la culture punk rock. Rappelons par exemple que, dans les années 70, New-York risquait une banqueroute financière et connaissait de fait un fort taux de chômage et de criminalité. Les messages dans la rue dénonçaient en autre la guerre du Vietnam, les problèmes de misère ou de violence dans différents quartiers (comme le Bronx entre autre).
Certes, ce n'est pas forcément un guide pour les nuls, car il faut déjà avoir en tête une petite palette d'artistes et d'oeuvres pour ne pas se sentir vite largué par l'énumération des différents artistes majeurs de ces 60 dernières années mais aussi par les termes du style writing ou du graffiti writing (les tags, les ‘'pieces'', les ‘'masterpieces'', les ‘'throw-ups'', les ‘'fame'', etc.). Mais, il permet véritablement d'avoir une bonne vue d'ensemble de ce mouvement dès sa genèse, avec toutes ses contradictions et complexités, et découvrir des artistes autres que les « têtes d'affiches ».
Pour ma part, il m'a manqué parfois quelques représentations d'oeuvre. Parce que, intrinsèquement, dans l'art, c'est ce qui m'intéresse, m'anime, m'émeut, me plait ou m'agace (Je sais, je fais encore l'enfant, parfois… J'aime bien qu'il y ait des images dans les livres…). Je concède qu'on choisit ce format « Que sais-je ? » en toute connaissance de cause, donc je remballe ma frustration… ou presque. J'avoue que j'aurais aussi aimé à la fin de ce guide une annexe pour rappeler les pages où retrouver les différents artistes mentionnés tout au long de cet essai. Et puisque j'en suis à parler de mes petites frustrations, j'aurais aussi aimé en savoir plus du travail de certains artistes comme Ernest Pignon-Ernest (un des pères fondateurs) dont j'admire les oeuvres humanistes (ses premières oeuvres datant du début des années 70 faisaient référence notamment à la guerre d'Algérie ou encore à l'apartheid) ; même si faire, à l'inverse, un chapitre consacré au marché actuel a malheureusement du sens.
Dans les années 70-80, on faisait encore la chasse aux tags et graffitis. Les auteurs devaient courir et zigzaguer très vite s'ils ne voulaient pas être arrêtés et écoper de grosses amendes. C'était aussi ce jeu du chat et de la souris et la performance qui les motivaient.
Aujourd'hui, ayant gagné en visibilité par internet notamment, l'art urbain s'est un peu « banalisé » et est devenu une institution. Certains artistes ont su profiter de l'engouement pour ces oeuvres, de leur notoriété et surfer sur la vague. Et bien entendu, les galeries et les musées sont friands de ce type d'expositions parce qu'il y a aujourd'hui un véritable marché pour le Street Art. (Il faut noter néanmoins l'audace des premières galeries qui ont osé suspendre des toiles de ce mouvement qui émergeait, telle la galerie Agnès B.). Certaines villes « pour être dans le coup » ne sont pas en reste : ça leur permet de cacher certains tags qui ne sont pas à leur goût (ou à leur couleur), et en quelque sorte de censurer, et de passer ‘'commandes'' de représentations plus policées (dans les années 70 à 80, comme aujourd'hui, il est plus facile de faire cette guerre aux tagueurs ou graffeurs plutôt que de faire un travail de fond pour endiguer pauvreté, violence, manque ou détérioration des infrastructures urbaines). L'art urbain d'aujourd'hui est bien loin des idéologies des premiers artistes.
Mais, il en reste encore qui veulent rester libres et continuent de produire des oeuvres de manière illégale, parfois politiquement incorrectes, parce que c'est comme ça que la société peut espérer évoluer positivement, en poussant/colorant un peu les murs. Et parfois il arrive qu'il nous reste l'image d'immenses tags à l'esprit, comme là-bas en Allemagne. Des tags pour nous rappeler l'histoire avec un grand H et ceux qui ont protesté de l'existence d'un mur…



*petite promo du collectionneur Nicolas Laugero-Lassere : il vient d'ouvrir il y a quelques jours à peine Fluctuart, premier centre d'art urbain flottant, installé près du Pont des Invalides à Paris, et gratuit ! Poussée par la curiosité, j'irai très probablement faire un tour cet été pour voir des oeuvres de quelques grandes figures du Street Art
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