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Critique de LaSalamandreNumerique


Harari n'est pas un chercheur comme peut l'être par exemple Jared Diamond mais un vulgarisateur. Il excelle à compiler les données éparses pour proposer des fresques synthétiques accessibles au plus grand nombre. En prime il est très agréable à lire ce qui explique largement son succès. S'il peut parfois agacer, sur des sujets très bien maîtrisés par l'un ou l'autre, de par une approche semblant superficielle il faut bien reconnaître que c'est la loi du genre et qu'il est sinon impossible d'écrire une « brève histoire de l'humanité » ou « une brève histoire du futur » en quelques centaines de pages. Globalement je défie 99.9% des lecteurs attentifs de ressortir d'un de ces deux livres sans avoir appris quelque chose qui puisse donner matière à réflexion profonde.

Ce 3e livre tente de trouver une place entre les deux premiers à savoir développer plus spécialement les pistes selon lui les plus porteuses pour comprendre notre avenir proche. Il s'y trouve beaucoup de redites par rapport à « Homo Deus » et une vision rapide pourrait convaincre que c'est l'ouvrage de trop destiné à capitaliser un succès de librairie. Et pourtant…

Et pourtant, lorsque chacun s'inquiète de l'avenir proche les mots qui reviennent le plus souvent sont : terrorisme, nationalismes, guerres, conflits religieux et, depuis quelques années, le réchauffement climatique. Cet ouvrage aborde ces points mais tente aussi de les remettre dans une perspective durable qui amène à largement relativiser la plupart d'entre eux.

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Inversement qui se soucie pour l'instant du fait que 2017 a été un cinquantenaire décisif ? En effet en 1967 un ordinateur, pour la première fois, a réussi poussivement à battre un débutant dans un tournoi d'échecs. Quelques autres dates sont marquantes pour réfléchir aux évolutions de l'intelligence artificielle sur ce terrain :
• 1977 : commercialisation du premier jeu d'échecs électronique, avant tout apte à apprendre les rudiments du jeu aux enfants tant il était faible
• 1985 : premier super-ordinateur capable de battre un des mille meilleurs joueurs du monde
• 1989 : premier super-ordinateur capable de battre un des 500 meilleurs joueurs du monde (mais écrasé par le champion du monde lors d'un match)
• Il faut atteindre la toute fin du XXe siècle pour qu'un programme, dans des conditions contestables, batte de justesse le champion du monde (1997).
• Depuis le début du XXIe siècle les ordinateurs sont devenus invincibles par des hommes mais, point essentiel, en se basant sur les connaissances de ces derniers (ouvertures enregistrées, finales dans le même cas, évaluation des positions selon des critères définis par les programmeurs avec les meilleurs joueurs…) et en profitant d'une puissance de calcul sans cesse croissante. L'année dernière par exemple Stockfish 8 (le programme le plus fort) calculait la bagatelle de 70 millions de coups par seconde.
• 2017 marque un nouveau changement radical. En utilisant une approche différente, basée sur des réseaux neuronaux et une stratégie d'apprentissage par renforcement de type Monte-Carlo Google a réalisé un programme qui a laminé Stockfish 8 tout en ne calculant « que » 80 000 coups par seconde soit quand même près de 1000 fois moins. Sur les 100 parties finales jouées il n'en a simplement perdu aucune. Et comment a été obtenu ce résultat exceptionnel ? Tout « simplement » en jetant aux orties l'ensemble des connaissances millénaires accumulées par les hommes, en fournissant juste les règles au programme et en lui donnant 4 petites heures pour progresser en jouant exclusivement contre lui-même. Vous n'êtes comme moi que des êtres humains et je vous suggère donc de relire et de prendre le temps d'intégrer les significations de ce qui précède. Pendant ce temps je me replonge dans « Les robots » de Asimov, publié en France, d'amusante façon en 1967, et qui aurait dû nous préparer à ce tremblement de terre de magnitude supérieure à 10.

Naturellement ce qui est vrai aux échecs est exact ailleurs. Citons juste la même performance de ce programme au Go (réputé le défi ultime en terme de jeu pour une IA) et au Shogi mais aussi le triomphe d'une machine à Jeopardy en 2011 ou, plus troublant encore, l'étude réalisée en 2015 sur plus de 86 000 volontaires et qui montrait qu'une IA n'avait besoin que de 10 « like » pour mieux prévoir votre personnalité que vos collègues, de 70 pour vos amis, de 150 pour votre famille et qu'avec 300 like elle semblait mieux vous connaître que votre propre conjoint. Il y a deux ans Google avait indexé plus de 130 mille milliards de pages internet… et il est capable de façon à nos yeux instantanée de nous trouver l'information que nous recherchons, alors même que nous pouvons poser cette question avec une grande maladresse. Sans vouloir heurter les croyants à côté les miracles tels que la multiplication des pains me font plutôt sourire. le XXIe siècle est le premier où l'homme rencontre une autre intelligence que la sienne, mais elle ne vient pas de l'espace…

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Au 19e siècle certains s'inquiétaient avant tout très sérieusement des risques de pénurie de charbon pour les industries, de la même façon aujourd'hui les communautés humaines se focalisent sur des soucis réels mais qui montrent le même aveuglement face à la lame de fond technologique qui pourrait bien nous submerger tous.

Harari nous pousse dans cet ouvrage à réfléchir, entre autre, aux conséquences pour chaque être humain d'une fusion possible voire plausible entre l'infotech et la biotech. Il nous prépare à un monde qui n'est pas celui de demain mais déjà celui d'aujourd'hui, où l'homme, qui a largement vu sa force physique rendue inutile par la mécanisation, pourrait en arriver au même point sur le plan de ses aptitudes intellectuelles. Il s'interroge sur les conséquences en termes d'inégalités, de démocratie, de liberté, de concentration des pouvoirs entre quelques mains… Il tente aussi de proposer des pistes destinées à nous permettre d'éviter les pires des scénarios. Je ne trouve pas que ce soit du temps perdu que de prendre connaissance de la synthèse de ses multiples recherches et réflexions.

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Je vais terminer sur une (semi) boutade :

« Neuf algorithmes pour les hommes mortels destinés au trépas,
Un pour le Seigneur des Ténèbres sur son sombre trône,
Au pays de Mordor où s'étendent les ombres
Un Algorithme pour les gouverner tous
Un Algorithme pour les trouver
Un Algorithme pour les amener tous,
Et dans les ténèbres les lier »

Oups, Je vais vite chercher Vigo Mortensen ! Cela dit là aussi je vais devoir être vigilant puisque ces mêmes réseaux neuronaux permettent maintenant de substituer un visage à un autre de façon très convaincante sur des films (deepfakes entre autre).

Pensez, naturellement, à « liker »et mes amitiés à HAL 9000 (scénario terminé en 1967). de façon moins ironique je vous souhaite une bonne lecture de Harari en espérant, si c'est le cas, que vous y trouverez vous aussi un réel intérêt.

https://news.stanford.edu/news/2015/january/personality-computer-knows-011215.html
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