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Critique de 4bis


4bis
28 décembre 2021
J'avais été subjuguée, comme des milliers de lecteurs dans le monde, par Sapiens et le regard qu'y porte Harari sur l'histoire de l'humanité. Que cette manière d'envisager le monde puisse devenir prescriptive pour l'avenir, voilà qui promettait d'être intéressant.
Evidemment, en prenant le parti de ne plus nous parler du passé, mais de l'avenir, l'auteur change un peu de statut et il n'en existe aucun qui soit très évident pour ce qu'il s'est appliqué à faire. Il ne s'agit pas d'une prédiction, pas plus que d'une dystopie. Juste, si l'on peut dire, l'application à l'avenir de règles édictées pour retracer le passé.
L'essai est constitué, comme son titre l'indique, de 21 chapitres, eux-mêmes organisés en cinq grandes parties : le défi technologique, le défi politique, désespoir et espoir, vérité, résilience. La forme est ainsi au service d'une thèse amenant le lecteur à se désolidariser de toute prétention à un récit explicatif et l'incitant à trouver dans la méditation la seule réalité à laquelle faire confiance : éprouver l'instant présent.
La montée en puissance des intelligences artificielles et de la biotechnologie sont les deux grands défis qui, pour Harari, attendent l'humanité : ils pourraient bien conduire à rendre une bonne part des humains inemployés et délaissés tandis qu'une minorité des autres serait renforcée par toute une myriade d'extension les conduisant aux portes de l'éternité tout en même temps qu'elles leur subtiliseraient définitivement toute volition et par là même, toute existence intrinsèque. de quoi avoir des frissons dans le dos…
On voit au passage que le livre, écrit en 2018, fait complètement l'impasse sur le pouvoir foudroyant et destructeur des pandémies. Ce qui minore, de fait, le potentiel divinatoire des visions apocalyptiques qui y sont déployées : il y aura toujours une bonne grosse catastrophe qui détournera les hommes des plans tels qu'ils sont ici envisagés.
Il n'empêche que les dérives algorithmiques et biotechnologiques sont des enjeux conséquents à considérer et que la hiérarchisation de leur importance en regard à la piètre attention que l'on devrait par exemple consentir au terrorisme a l'avantage de questionner effectivement le sens de nos priorités. Toujours ce bon vieux spectaculaire qui prend plus de place que ce qui se meut à bas bruit mais aura bien plus d'impact.
M'ont charmée aussi les conceptions du moi comme un agrégat instable et jamais unifié de réactions biologiques successives que seule une dévotion pour la fiction permet de structurer en un tout soi-disant cohérent et identique.
Tout comme le récit fédère ceux qui y croient et rend possible la coopération à l'échelle d'une société, l'identité individuelle stabilise suffisamment le rapport au monde pour que puisse s'y organiser quelque chose de performant. Bien sûr, le corolaire de tout cela, c'est que, qu'il s'agisse de dollars, de Dieu, d'entreprise, de sentiment amoureux, ou de sens à l'existence même, rien n'a de réalité et que tout est « pour de faux ».
Dans le genre, « entreprise de démystification », on est à l'os. Et si j'aime l'aspect radical de cette déconstruction systématique, elle finit par ne plus laisser grand-chose de ce qu'on appelle l'homme, l'histoire ou l'humanité. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que la 21e leçon ne contient rien d'autre qu'une relation de ce qu'est la méditation. C'était ça ou Beckett… Et les deux me vont.
Harari ne nous enjoint pas exactement à ne plus croire à rien, simplement à ne pas être les dupes de ces croyances au point qu'on n'en saisisse plus les limites et qu'au lieu de nous porter vers davantage de concorde, ces dernières nous entrainent vers de dangereuses impasses conceptuelles.
La nuance reste subtile et la conduite à tenir difficile à envisager. Je ne ferai donc pas de ce livre un vadémécum pour survivre à la post-modernité (ce qu'il n'a pas prétention à être) mais espère me souvenir de quelques-unes de ses brillantes conceptions afin de traquer et détrôner si besoin la fiction partout où elle se montrerait trop envahissante pour être utile.
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