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Critique de Lucilou


Près de 1200 pages et pourtant, j'en aurais voulu bien davantage si cela m'avait permis de passer encore un peu de temps avec la famille Iachi.

"La Huitième Vie" est de ces romans rares et précieux qu'on n'oublie pas et qui vous hante bien après leur lecture, de ces romans amples et chatoyants qui allient à la perfection formelle et à l'exigence un souffle romanesque éblouissant.

Oui, "La Huitième Vie" et l'histoire de la famille Iachi sont chatoyantes, même si elles sont parfois éclaboussées de sang et de gris, chatoyantes tel un de ses tapis persan aux couleurs et aux fils enchevêtrés , reliés les uns aux autres par un maillage complexe, puissant, tissé étroitement. Tels sont aussi les membres de la dynastie: fils colorés et si différents, tenus ensemble par une histoire commune, par les ancêtres et pas le sang. Par le coeur aussi. Leurs destins mêlés finissent toujours par se croiser, s'épouser, s'affronter et forment alors un dessin étrange, un motif chaotique qui révèle le sort et le portrait d'une famille ardente et tourmentée, aux prises avec L Histoire autant qu'avec des douleurs et des désirs plus intimes.

Allemagne 2006, parce que sa nièce, Brilka, a fugué, et parce qu'elle porte en elle le poids étouffant des générations qui l'ont précédée, Niza entreprend de faire à l'adolescente le récit de leur histoire familiale, dans l'espoir d'affranchir la jeune fille du joug de la malédiction qui semble planer sur les Iachi depuis plus d'un siècle. Pour se libérer de ses fantômes peut-être aussi...
Cette histoire qui s'étale sur par moins de six générations commence à l'orée du XX°siècle à Tbilissi en Géorgie, la Riveira caucasienne, par un chocolatier de génie capable de préparer le chocolat chaud le plus exquis qui soit et se poursuit entre Londres et Moscou, Berlin et Saint-Petersbourg.
Il y a l'indomptable Stasia qui rêve de devenir danseuse quand elle ne chevauche pas les purs sang de son père et qui épousera un brillant officier, il y a la belle Christine qui paiera bien trop cher le prix de sa beauté et celui de l'amour.
Il y a l'intransigeant Kostia, pétri de poudre et d'acier, qui n'oublie pas une juive connue autrefois et les airs qu'elle jouait sur son piano, qui n'oublie pas non plus Stalingrad et le froid. Et les cris, la douleur et la peur.
Il y a Kitty, l'exil et les silences assourdissants; Elene qui cherche un chemin et Daria, amoureuse à en crever.
Il y a Sopio, Andro, Simon, Anna, Miqa, Miro. Et Fred, et Amy.
Je les ai tous aimés. Inconditionnellement, farouchement. Tous, tout au long de ce roman somptueux qui nous raconte aussi un siècle d'histoire "rouge", de la fin de la Russie impériale et du renversement du régime tsariste à la pérestroïka en passant par les années -interminables- de dictature communiste. Persécutions, non-dits, solitude, horreur: insoutenable tourbillon qui balaie tout sur son passage et broie chacun des membres de la lignée du chocolatier.

Ce qui confine au génie dans ce roman-fleuve, dans cette saga familiale très romanesque, c'est la manière avec laquelle Nino Haratischwili fait entrer L Histoire dans son roman. le contexte est riche, complexe et passionnants et la narration ponctue sa trame de repères temporels précis. Pour autant, rien de tout cela n'alourdit jamais le récit. Au contraire. L'intrigue est servie par ce foisonnement étourdissant, vertigineux, bien plus fin, bien plus évocateur qu'un livre d'Histoire. Il n'y a ni chair, ni sang, ni coeur palpitant dans les manuels. Ce foisonnement qui lui sert d'écrin.
Et Nino Haratischwili a ce don de maîtriser magnifiquement le romanesque en nous offrant mensonges et passions, guerre et trahisons, coups du sort et fol espoir, douleurs et impossibles rédemptions tout en payant son tribut à L Histoire. En effet, elle rend avec une acuité douloureuse la fin d'un monde et la violence sourde de l'ère soviétique tout en parvenant à montrer comment les membres d'une même famille sont confrontés aux évènements de l'Histoire en marche.

On ne peut que sortir fourbu et affamé d'une lecture si puissante.
Un gout de chocolat et d'épopée.
De mauvais sort mais c'est une malédiction dont on veut encore.





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