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Critique de Gwen21


Dans la famille des chefs-d'oeuvre de Thomas Hardy, je demande la fille !

Et la fille, en l’occurrence, c'est Elfride Swancourt, 19 ans, vivant dans le Wessex, au sud de l'Angleterre. Fille d'un pasteur féru de généalogie qui se gargarise d'être affilié à la famille du baronnet local et qui, par là même, nourrit des ambitions pour sa fille et lui-même, orpheline de mère, bientôt soumise à l'influence d'une belle-mère, cette jeune personne, dont les beaux yeux donnent son titre au roman, est décrite par l'auteur comme un être pouvant "dire des choses dignes d'un épigrammiste français et agir comme un rouge-gorge dans une serre". Confrontée à ses premiers émois affectifs, Elfride, prise dans les affres à la fois suaves et douloureux de cet âge délicat entre la jeune fille et la jeune femme, ne saura pas assumer tous ses choix ni identifier la piste menant vers le bonheur.

Ainsi, comme toujours avec Hardy, le protagoniste principal n'est ni tout blanc ni tout noir mais offre au contraire une complexité psychologique dense qui n'est pas sans rappeler notre propre complexité psychologique. Je m'extasie à nouveau devant la capacité de cet écrivain à fouiller sans concession mais avec une indéniable indulgence les sentiments féminins. Il suffit sans doute de se rappeler qu'il était d'abord poète et n'écrivait ses romans que pour gagner sa vie. Comme beaucoup de ses personnages, Elfride, bien que jeune (ou parce que jeune) va donc connaître en un laps de temps assez court - quelques années tout au plus - des mutations profondes, des évolutions et des expériences qui vont à la fois permettre à sa personnalité de se révéler et semer d'embûches son parcours initiatique. Tout comme Bathsheba dans "Loin de la foule déchaînée", Elfride est une héroïne à laquelle le lecteur a d'abord du mal à s'attacher. Éduquée assez librement, son besoin d'autonomie et d'indépendance se heurte vite au carcan des convenances de son temps (fin du 19ème siècle), à la morale rigide de ces contemporains et à la censure de la société.

Pour avoir lu plusieurs romans de Hardy, je peux affirmer que l'un de ses plus grands plaisirs est de faire de ses personnages le jouet des circonstances, de leurs tempéraments et de leurs choix, judicieux ou hasardeux mais toujours de nature à incliner ou à bouleverser leurs existences. Comme lors de mes précédentes lectures, j'ai été totalement emportée par le récit, fascinée par le traitement des sentiments, en quête des réactions des personnages et des rebondissements de l'action. L'écriture est toujours aussi magistrale, le rythme ne faiblit jamais et les descriptions, tout en sensibilité, en poésie et en sincérité, résultent définitivement d'une incroyable alchimie entre la force d'évocation et la concision. La nature, si présente au fil des pages, se fait non seulement cadre mais aussi source d'inspiration de la narration et lui donne avec générosité tout le romanesque de ses rochers, de ses prés, de son bord de mer et de ses bois.

En ce qui me concerne, Thomas Hardy vise à chaque roman la cible du cœur et il met dans le mille à chaque flèche. Bref, je suis conquise, et aussi insatiable qu'une amoureuse. Le romantisme de son oeuvre, dépourvu de mièvrerie, harmonieusement dosé en drame, riche en émotions, est le gage d'une lecture marquante et envoûtante.


Challenge 19ème siècle 2015
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