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Critique de Nastie92


Je suis allée plus de cent fois sur la face nord de l'Eiger.
Parfois je l'ai vaincue, parfois j'ai échoué.
J'ai souffert, j'ai eu froid, j'ai eu faim, j'ai eu peur.
J'ai chuté, j'ai vu des accidents terribles. Et des morts, beaucoup trop de morts.
Cette face redoutable, cette paroi monstrueuse : taille, inclinaison, chutes de pierres quotidiennes, conditions météorologiques très particulières et souvent infernales, tous ces ingrédients font de son ascension une véritable épreuve.
Mais pourquoi, alors, y ai-je pris autant de plaisir ?
Parce que j'ai fait tout ça sans prendre aucun risque, bien à l'abri, bien au chaud sous ma couverture.
Eh oui, cette face nord je l'ai foulée en pensée seulement ! Et j'y suis allée avec le meilleur guide possible : Heinrich Harrer lui-même, l'un des quatre vainqueurs de cet "ogre" en 1938.
L'alpiniste autrichien m'a tout raconté. Vraiment tout. Dans les moindres détails.
Son livre est un must, un incontournable pour qui s'intéresse à l'alpinisme et à son histoire.
L'auteur y a rassemblé toutes les ascensions ou tentatives d'ascension jusqu'à la date de parution. (Publié en 1958, l'ouvrage est régulièrement révisé et complété. J'ai lu, en v.o. allemande, la neuvième édition, datant de 2012.)
Chaque expédition est relatée de façon minutieuse, analysée, disséquée.
L'Eiger a longtemps fasciné les alpinistes, de façon parfois morbide, attirant des candidats en mal de gloire à tout prix. Ils se sont bousculés, prêts à se sacrifier pour cette paroi considérée comme infaisable.
Infaisable... jusqu'à ce qu'une cordée arrive à la franchir : celle des autrichiens Heinrich Harrer et Fritz Kasparek et des allemands Anderl Heckmaier et Wiggerl Vörg.
Le récit de leur ascension tient naturellement une place centrale dans ce livre, et c'est incroyable de voir comme l'auteur se souvient du moindre détail. On dirait qu'il a en mémoire le moindre bout de rocher, la moindre plaque de neige ou de glace, la façon dont il a planté le moindre piton, la moindre parole prononcée par les uns et les autres, la moindre sensation positive ou négative ressentie pendant la montée.
Une solidarité sans faille s'instaure dans la cordée, un respect mutuel, une camaraderie à des degrés rarement atteints : tous sont unis face à l'ogre. L'expression "Leurs vies sont liées" n'a jamais autant pris de sens que dans cette aventure hors du commun. Ce n'est pas l'addition de quatre vies, mais quatre vies qui n'en font plus qu'une.
L'auteur mêle des considérations techniques, des réflexions générales et des anecdotes, comme lorsqu'il raconte qu'une nuit, lors d'un bivouac, Anderl s'accroche à la glace avec ses piolets pour dormir, tandis que sa tête repose sur le dos de Wiggerl. Ce dernier ne bougera pas de la nuit afin de ne pas troubler le sommeil de son camarade. Ce passage est très attendrissant. J'ai rarement vu des hommes faire preuve d'autant d'attention les uns envers les autres : le décalage entre l'immensité de l'exploit sportif et cette camaraderie qui confine à la tendresse parfois est terriblement émouvant.
Heinrich Harrer est un personnage controversé, mais son récit est plein de finesse et de respect. Respect de ses camarades de cordée, mais aussi respect de tous ceux qui l'ont précédé dans la paroi, et envers qui il se sent redevable. Leurs tentatives, bien que soldées par des échecs, ont apporté des connaissances et une part d'expérience qui lui ont servi : "Nous sommes redevables envers les morts pour l'expérience qu'ils nous ont apportée." (Wir haben den Toten unsere Erfahrung zu danken.)
J'apprécie beaucoup ce respect dans le récit, comme j'avais aimé celui dont fait preuve Edmund Hillary, vainqueur de l'Everest, envers ses prédécesseurs dans son livre "Au sommet de l'Everest : il y a 50 ans l'Everest, l'expédition qui a vaincu le toit du monde".
La face nord de l'Eiger est un livre passionnant, bien qu'un peu vieillot. Il fait revivre un pan capital de l'histoire de l'alpinisme.
Heinrich Harrer a accompli un immense travail d'historien pour livrer dans cet ouvrage très complet l'histoire de cette redoutable paroi, souvent personnifiée par l'alpiniste, accentuant le caractère dramatique du récit : le mur se défend, ne veut pas laisser passer, adresse un avertissement, ne se laisse pas faire, oppose une résistance farouche... et même, exige son lot de sacrifices.
Libre à chacun de s'y aventurer... ou de se contenter de rêver sous la couette !
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