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Critique de berni_29


Allez ! Ho ! Hue ! Dia !
Je garde encore en moi les sensations vives des premières pages de ce roman, Les Pionniers, écrit par l'écrivain américain Ernest Haycox.
Je me suis retrouvé sous des pluies torrentielles, au milieu des radeaux chargés de bétail et des chariots qui menaçaient sans cesse de sombrer dans la rivière impétueuse qu'il fallait traverser.
J'étais transpercé par ces trombes d'eau, par le froid, par la bourrasque, par tous les éléments déchaînés en même temps. Transi, rincé, fourbu, comme si je venais de passer l'heure dans une lessiveuse.
Un western en panavision, me direz-vous ? Mieux que ça, un roman tout simplement, digne de la grande littérature américaine, car l'acuité des mots me semble ici et tout au long des pages de ce livre, plus fort que certaines images de cinéma.
Dès les premières pages, le tableau est posé : on sent les protagonistes de cette histoire déterminés à aller jusqu'au bout de leur périple.
Ils viennent du Missouri et ont tout abandonné dans l'espoir de fonder une terre nouvelle à des milliers de kilomètres de leurs foyers, là-bas à l'Ouest, dans l'Oregon. Ce sera désormais leur Eldorado.
On les appelle les Pionniers, ce sont les premiers colons qui vont faire la conquête de l'Ouest.
Dès les premières pages, les personnages sont campés avec une infinie justesse et j'ai senti tout de suite qu'Ernest Haycox était désireux de casser les codes du « bon » western classique.
Bien sûr, il y a les thèmes de prédilection chers au genre : l'extrême rudesse d'un quotidien où tout reste à construire, la grandeur de la nature, la menace indienne, quelques rixes mais si vous venez pour cela vous serez vite déçu ; en contrepoint ce qui a emporté ma fascination est la manière dont l'auteur décrit ses personnages, les anime dans une fresque sociale magnifique, c'est-à-dire avec beaucoup d'empathie et de compassion.
Bien sûr, on rencontre des méchants, des odieux, des crapules, mais ils ne sont pas légion dans le récit. Il y en a bien un en effet, Cal Lockyear, qui finit par être rejeté par la communauté à cause de sa brutalité ; sans l'accabler à outrance pour sa conduite, l'auteur recherche toujours la nuance pour comprendre le parcours d'un homme harassé de violence. Ici les personnages les plus haineux sont des êtres désespérés.
Il y a même un prédicateur haut en couleur, Lot White, comme seul le côté sombre et ridicule de l'Amérique sait en produire. Ce fut vraiment une période fondatrice à tous points de vue.
Je me suis attaché au pas de Rice Burnett, comme un ami un peu solitaire, qui cherche son chemin.
Mais surtout il y a de très beaux personnages féminins, notamment je pense aux personnages d'Edna et de Katherine qui m'ont touché. Elles cherchent à être maîtresses de leur destin, on est loin ici des stéréotypes du western qui les a souvent reléguées au second plan, elles combattent à visage ouvert, volontaires, déterminées, intelligentes.
Pour autant, l'auteur est conscient de la condition indigne qui était réservée aux femmes dans la communauté des colons, en dépit du rôle crucial qu'elle ont joué dans cette grande conquête de l'Ouest.
Et puis il y a Louisa femme squaw qui a épousé un trappeur blanc.
Le regard hostile des colons, sa confrontation avec les femmes blanches, vont la miner. Et le regard qu'Ernest Haycox porte sur cette situation, sur la confrontation des colons avec les Indiens, souligne ses convictions humanistes.
C'est une fresque sociale décrite dans un rythme lent, servie par une écriture généreuse, magnifique, ample, qui va convier tous ces personnages, en faire des histoires intimes mêlant désir, amour, jalousie, déception, regrets...
Ce sont de très belles parenthèses sentimentales, des échappées intimistes où des femmes et des hommes se cherchent, s'affrontent, s'interrogent ou se perdent. Derrière la rudesse du quotidien, ce sont des zones d'ombres secrètes qui sont ici esquissés avec sensibilité, des moments impalpables, faits de regrets, d'espoirs déçus, de silences, de renoncements. La vie, quoi !
Il y a des scènes fortes et poignantes.
La violence est souterraine et lorsqu'elle éclate c'est un fleuve impétueux.
La nature n'est pas en reste, j'ai eu sans cesse l'impression d'étreindre un paysage beau, immense, vertigineux qui faisait écho avec le coeur des personnages.
Oui, Les Pionniers est un roman splendide et touchant, mêlant avec talent des histoires intimes avec la dimension universelle de l'Amérique qui s'est construite aussi à l'aune de ces récits et chemins...
Le western littéraire est un genre qui n'a pas à rougir de sa position, il appartient à part entière à l'histoire de la littérature américaine. Ernest Haycox l'a démontré ici avec brio avec ce récit d'une puissance d'évocation qui m'a particulièrement séduit.
Les Pionniers, c'est un roman qui m'a conquis. Merci Doriane (alias Yaena) de m'avoir incité à aller à la rencontre de ce livre par ton très beau billet.
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