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Critique de Patsales


Ourghh!
S'asseoir, respirer profondément, renoncer à relire immédiatement "Catch 22" tout en sachant qu'on a loupé la moitié de ce qui s'y trouve (mais on a déjà fort à faire avec ce qu'on a compris) et ne pas (trop) ricaner sur soi-même d'écrire un billet quand une thèse universitaire serait le minimum à consacrer à un tel bouquin.
Comme souvent, tout est parti d'un malentendu. "Catch 22", classique de la littérature anglophone, très mal connu par chez nous, hissé au rang de roman-culte par les protestataires contre la guerre du Vietnam, férocement drôle, "M.A.S.H." de la littérature...
J'y suis allée pour me marrer et je n'ai pas beaucoup ri. Non pas que le livre ne soit pas férocement drôle, mais j'étais trop occupée à raccrocher ma mâchoire qui se décrochait à chaque page ou presque tellement ce roman est non-conventionnel et constamment surprenant.
Déjà, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un pamphlet contre la guerre. Ce serait le cas qu'il s'agirait de toute façon d'une oeuvre sacrément gonflée parce que 39-45 est quand même le parangon de la guerre morale - il fallait bien foutre la pâtée à Adolf. Et certes, Heller ne nous épargne rien des ignominies et des souffrances que ses aviateurs en mission au-dessus de l'Italie doivent endurer. Mais c'est moins comme machine de mort que la guerre est abjecte que comme terrain d'expérimentation de la bêtise et de l'égoïsme. Il faut gagner la guerre, et, pour tous les officiers bas du front et friands de promotions, un tel mantra vaut open bar. Entre celui qui n'aime rien tant que les défilés, les corrompus prompts à sacrifier leurs hommes pour un article dans le journal si possible à Noël, les faibles et les incompétents, chacun est un pervers qui a enfin trouvé toute justification à ses pulsions sadiques et régressives.
Et la fin des conflits ne laisse entrevoir aucun espoir. Car une autre offensive se profile, peut-être encore plus meurtrière et dénuée de scrupules: la guerre n'est que l'autre façon pour le capitalisme de prospérer. Milo Minderbinder est déchargé des missions périlleuses pour permettre à la table des officiers d'être toujours fastueuse. Milo se retrouve très vite à la tête d'un consortium opaque qui enrôle l'état-major ennemi dans ses trafics, au point de de faire bombarder les troupes dans lesquelles il sert pour augmenter son bénéfice net: "Écoutez, ce n'est pas moi qui ai déclenché cette guerre, quoi qu'en dise l'ignoble Wintergreen. J'essaie simplement de la rendre rentable."
Au-delà de cette critique féroce et désespérée du capitalisme et du pouvoir, il existe bien dans "Catch 22" un refus des combats symbolisé par la résistance du personnage principal, Yossarian, à qui on reproche "une répugnance morbide à mourir."
" Vous n'aimez probablement pas vous battre et risquer à tout moment d'avoir la tête fracassée.
- Enlevez le "probablement", sir."
Mais c'est moins la guerre qui met Yossarian en colère que l'injustice en général, que toutes les souffrances endurées par les plus faibles, que tout ce mépris de la vie dont les hommes quels qu'ils soient semblent faire preuve. La vie est sérieuse, dit Yossarian, on n'en a qu'une, respectez-la: " L'homme est matière, tel était le secret de Snowden. Jetez-le d'une fenêtre, il tombera. Enflammez-le, il brûlera. Enterrez-le, il pourrira comme n'importe quelle ordure."
Le nom de Snowden revient constamment dans le roman. de même que les aviateurs ne parviennent pas à rentrer chez eux, le nombre de missions augmentant au fur et à mesure qu'ils s'approchent de leur démobilisation, le temps se déroule à l'envers dans le roman. de nombreuses informations sont distillées au lecteur comme si elles étaient connues de lui et parfaitement compréhensibles. Au fur et à mesure de la lecture, des morceaux du puzzle se mettent en place, sans que la chronologie des événements soit parfaitement lisible: à quoi bon puisque les aviateurs parcourent tous les cercles de l'enfer et que l'espoir d'une fin, d'une issue, ou même d'une simple logique semble totalement exclue? Certes, on apprendra petit à petit pourquoi Snowden hante l'esprit de Yossarian, mais sans doute le lecteur aurait-il préféré ne pas le découvrir.
Oeuvre puissamment anarchiste, "Catch 22" trouve pourtant son final lumineux. Contrairement à Céline (dont le "Voyage au bout de la nuit" est une des influences avouées de Heller) qui marine jusqu'au bout dans la désespérance, Heller refuse le défaitisme. Viva la vida!
Et s'il convient de s'interroger sur les raisons pour lesquelles ce roman est si peu connu des Français, la réponse est peut-être tout bêtement que, sur ce coup-là, on est loin d'être au niveau.
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