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Critique de ged7fr


Enfin j'ai terminé le cinquième et sixième tome de la saga Dune : le dernier écrit par Franck Herbert. Cela a été un beau voyage à pied, pour en montrer l'effort nécessaire, essentiellement passé sous la pluie. Herbert est un auteur qui ne se laisse pas simplement comprendre. Il faut le lire puis le méditer. Moi c'était au cours de mes 30 minutes de marche quotidienne entre chez moi et mon bureau. Je ressassais les chapitres lus la veille pour en tirer les messages.


Ce tome ne fait pas exception : je n'ai pas tout compris. le propos et l'intention de certains chapitres restent encore complètement nébuleux. Heureusement j'en ai compris certains et je pense avoir dégagé une compréhension voire une théorie du pouvoir.

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Pour moi, Dune est avant tout une saga du pouvoir, en particulier le pouvoir exercé par certaines institutions et leurs dirigeants. Ces institutions sont souvent, si ce n'est systématiquement, en concurrence les unes avec les autres. Cependant le schéma de fonctionnement est toujours le même. C'est un cycle que j'appellerai le « cycle de la voix dans sa tête ».


Avant d'expliquer ce titre un peu étrange, commençons par décrire ce cycle. Il est constitué de quatre phases :
1) « la certitude de l'avenir » : chaque institution est convaincu que l'avenir se déroulera de la manière qu'il projette. Par exemple, l'empereur-Dieu de Dune est convaincu de la véracité et de l'effectivité du « sentier d'or »
2) Cette certitude de l'avenir amène à la « certitude de la légitimité de sa mission » : de fait les protagonistes se semblent investit de la tâche qui leur permettra de faire advenir cet avenir. Par exemple le Bene-Tleilax trouve légitime de vouloir imposer une vision religieuse spécifique.
3) Ce qui amène à la « certitude de l'emploi des moyens », car pour faire advenir cet avenir il faut agir sur cet univers. Par exemple le Bene-Gesserit, pour améliorer la qualité politique des dirigeants, cherche à améliorer les lignées aristocratiques par un contrôle génétique, en particulier ceux des Atréides.
4) Ce qui les amène à leur « certitude de la légitimité de leur dirigisme », car les « bonnes » intentions et les « bonnes » méthodes, ne peuvent produire que de « bonnes » actions. Par exemple la transformation de Dune en un jardin par Paul Atréides.


Le cumul des bonnes actions amène alors à confirmer la « certitude de l'avenir » : la boucle est bouclée.


Mais ce que nous apprend le récit de Dune c'est que toutes ces « certitudes » ne sont que des « illusions ».
4) Que dire des bonnes actions lorsque la transformation de Dune en jardin provoque, in fine, la disparition du fier peuple fremen ?
3) Que dire de l'adéquation des moyens lorsque le Kwisatz Haderach, le dirigeant ultime, échappe au contrôle et au plan du Bene Gesserit ?
2) Que dire de la légitimité de la mission, alors que le culte de la dissimulation du Bene-Tleilax font de ce peuple l'ennemi ultime ? Car pour être légitime, faut-il que l'on connaisse et que l'on consente aux buts et objectifs.
1) Que dire de l'illusion de l'avenir imposé par le sentier d'or ? Soit l'avenir est malléable et le « sentier d'or » n'a aucun sens, soit il est figé et alors il n'y a pas d'avenir.


Ce qui nous amène à l'explication du titre de ce cycle de la « voix dans la tête ». Car tous ces protagonistes sont convaincus de leur légitimité parcequ'ils entendent des voix dans leur tête. le Bene-Tleilax pense communiquer avec Dieu. le Bene Gesserit pense pousser aux ultimes conclusions l'usage de la raison sur une base finalement subjective. Paul Atréide et son fils, empereur-Dieu, voient l'avenir. Finalement, le Bene-Tleilax à la foi, le Bene-Gesserit raisonne comme des cloches et les Atréides sont hypnotisés.


Mention spéciale pour les « honorés matriarches » qui sont une abomination du pouvoir : la destination ultime de la dérive du pouvoir par le cynisme. C'est sur cette voix que s'engage par exemple le Bene-Gesserit. Car malgré l'échec du Kwisatz Haderach, les mères ne se remettent pas en question, ne se dissolvent pas, en fait elles essaient de maintenir à bout de bras leur pouvoir en tentant de perdurer par tous les moyens. Les tomes 5 & 6 sont le récit de cette perte de sens, de cette chute dans le cynisme, sous couvert de lutter contre pire qu'elles. le Chapitre, la planète mère de l'ordre, est à l'image de leur déliquescence, elle transforme leur planète-jardin en planète-désert afin de pouvoir pérenniser la production de leur drogue de divination : l'épice.


Il y a ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés. L'univers de Dune est très riche, il y a beaucoup d'acteurs mais tous ne sont pas explorés aussi bien que les gouverneurs. Je vais en faire deux catégories.


La première sont les peuples. Ils sont assez peu visibles. Lorsqu'ils le sont c'est soit comme chair à canon, soit en curiosité anthropologique que les aristocrates ne comprennent pas ou méprisent. Il y a une scène dans le tome 5, où Lucille (je crois) du Bene Gesserit observe sans comprendre une danse dans rituelle dans une rue à peine perturbée par l'escorte armée de Sheena (ce chapitre me hante). Dans d'autres chapitres les descendant Atréides méprisent aux plus au point les derniers rejetons des fremens que leur ancêtre a détruit.


Mais l'acteur qui représente toute la fluidité et la droiture des peuples est Duncan Idaho. C'est l'homme révolté et qui se révolte contre les pouvoirs en place. Il ne cherche jamais le pouvoir, mais la liberté contre tous les pouvoirs. Son fardeau est de lutter contre son conditionnement à se soumettre aux pouvoirs : soumission certes par la contrainte mais aussi par l'estime et les sentiments.


La seconde catégorie, et qui est certainement le rattage de Franck Herbert, sont les acteurs logistiques : la CHOM (les marchands), les Ixiens (les techniciens), la Guilde des navigateurs (les transporteurs). Ce sont des acteurs mineurs dans la saga Dune. Et pourtant si nous prenons l'image de notre monde actuel qui détient et façonne le pouvoir : les techniciens qui innovent pour innover, les marchands qui en font des biens lucratifs et les transporteurs qui les disséminent partout. Ils forment un écosystème consumériste. Dans Dune c'est le pouvoir qui détruit l'écologie des planètes, dans la réalité c'est le culte consumériste qui détruit notre écosystème. Notre pouvoir est inféodé au consumérisme. C'est là le grand rattage de Franck Herbert, ce qu'il n'a pas vue.


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Je crois qu'il est indéniable que les tomes 5 & 6 préparaient une nouvelle phase de la saga. Peut-être que les successeurs de Franck Herbert, s'en sont emparés. Pour ma part, je vais terminer l'exploration de la saga Dune ici avec les 6 premiers tomes originaux de l'auteur. Excepté le préquel concernant la guerre butlérienne, qui me semble un sujet intéressant à découvrir, je pense avoir fait le tour de cet univers (détrompez-moi !). J'avais commencé cette saga, il y 30 ans, j'avais détesté (je préférai le film de Lynch). Je l'ai redécouverte il y a 4-5 ans, j'ai adoré, malgré les migraines. J'aime toujours le film de Lynch, son étrangeté, et j'attends le second volet du film de Villeneuve, son esthétisme.
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