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Critique de Seraphita


Leïla a 8 ans lorsqu'elle ouvre le récit en ce 15 avril 1956. Avec ses yeux et son coeur d'enfant, elle décrit l'amitié et les élans de l'enfance, la différence, la religion et les prémices d'une guerre qui s'annonce avec son cortège de violence. Leïla grandit, devient adolescente, puis adulte. Elle fait alors la rencontre de Martin et l'épouse. Leur couple franco-algérien ne peut devenir pérenne qu'au prix d'un exil, en France. C'est qu'en Algérie, une nouvelle guerre couve, l'implosion d'un pays qui avait gagné son indépendance. En France, sa fille continuera le fil de l'écriture pour l'entremêler à la voix de sa mère, jusqu'en juillet 2011.

« le premier qui voit la mer » est un très beau récit écrit à quatre mains, à deux voix unies, celles d'une mère et de sa fille, Zakia et Célia Héron. Il prend la forme d'un journal qui conte la grande Histoire saisie à travers l'histoire singulière d'une enfant qui grandit, traverse les époques et que les événements viennent traverser, bouleverser, lui permettant de se forger son identité. le récit, d'abord puéril et naïf, prend de l'ampleur avec les années, un souffle et une densité que l'enrichissement du style aide à magnifier : les métaphores permettent aux auteures de décrire des événements tragiques avec beaucoup de tact et de pudeur, sans pour autant éluder l'insoutenable. Et c'est bien là toute la force de cette oeuvre qui ne cède jamais au manichéisme, mais qui explore avec beaucoup de finesse et de subtilité les thématiques de la guerre, l'exil, la construction de soi dans et hors de la famille, les religions.

C'est en France, dans un hammam, « assise sur la nuit des mosaïques, observant la vapeur caresser la peinture craquelée » (p. 198.), que Leïla dessine un chemin entre les deux scansions de violence qui ont ébranlé l'Algérie :
« Algérie. Une guerre, puis une autre. Dans la première, nous étions « les autres ». Dans la seconde, le « nous » a implosé, ouvrant le champ à de nouveaux affrontements. Guerre gigogne.
Une autre goutte s'écrase.
France. Un peu de ce « nous » de là-bas se retrouve ici.
Jeux de miroirs, ironie de l'histoire. Presque une histoire drôle sans tous ces morts. Comme dirait Coluche « On ne sait pas qui sont les autres et qui nous sommes, nous ». » (p. 200.)
Au bout du chemin, ce récit vient parler à chacun dans ce qui peut l'animer, l'agir, quelles que soient son histoire, ses origines : « Expirer. Fermer les yeux. Ne rien projeter. Inspirer. Suivre le parcours de l'air, narines, poumons, ventre… Dans ma tête, j'ouvre les bras comme pour un envol et j'attends. Dans l'expire, glissement des nuages, cris des mouettes dans le firmament, embruns iodés multicolores, vent dans les feuilles, senteurs de jasmin… Chant du monde… Lentement, je décolle, je m'élève et par miracle, comme dans les dessins de Folon, je nage dans l'espace. Libre, sans effort, sans mouvement. Je n'agis pas. Je suis agie. » (p. 192.)
Une oeuvre poignante, puissante, qui laisse en mémoire, une fois les pages repliées, « le parfum du jasmin et des fleurs d'oranger. » (p. 217.)

J'ai pu découvrir cette oeuvre grâce à une opération spéciale de Masse Critique. Un grand merci à Babelio et aux éditions Versilio pour ce voyage !
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