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Critique de LaDamedelaColline


n roman surprenant, découvert grâce au site web « la Carte des Argonautes », qui nous emmène au XIème siècle sur les traces d'une jeune femme prosélyte originaire de Rouen.

Force est de constater que le titre donné au roman en français est assez trompeur : « le Coeur Converti » évoque une romance historique. La couverture, une photo d'une jeune femme aux longs cheveux nattés en robe grise sur fond d'abbaye, ne fait rien pour arranger cette erreur, bien au contraire. Résultat : certains lecteurs, pensant à tort lire une romance historique, seront très déçus, alors que d'autres excluant d'office la possibilité d'acheter ou d'emprunter le roman pour cette même raison, se retrouveront privés du plaisir de découvrir ce roman hybride, qui vaut pourtant le détour. Seule l'édition Gallimard peut amener le lecteur à se douter qu'il s'agit d'autre chose que d'un roman à l'eau de rose.

Stefan Hertmans adopte un style à mi-chemin entre le récit historique et le roman de fiction, à la manière d'un carnet de voyage où il noterait ses impressions et sensations pendant ses diverses visites des villages au Sud de la France jusqu'au Caire. Ce mélange des genres littéraires, qui semble être la marque de fabrique de l'auteur -selon ce que j'ai pu lire par ailleurs sur ses autres ouvrages (« Guerre et Térébenthine », « Une ascension »)-, m'a d'abord rebutée, et a entravé ma lecture. Au bout de quelques chapitres, j'ai laissé le roman de côté. Et puis, quelques semaines plus tard, je l'ai repris, et je ne l'ai pas regretté. Si le début (c'est-à-dire le récit de l'enfance normande de Vigdis puis sa fuite avec David ) peut sembler long et ennuyant, la deuxième partie du roman, bien que terrible, est bien plus enlevée.

Vidgis Adélais est une noble normande, de sang viking et flamand, puisque son père est un Normand et sa mère issue d'une famille de la noblesse flamande. Lors de l'une de ses promenades, elle fait la rencontre d'un jeune juif, David, étudiant à la yeshiva de Rouen. C'est le coup de foudre et les deux amoureux décident rapidement de fuir pour rejoindre des terres plus clémentes (du moins le semblent-elles), à savoir le Sud de la France et la famille accueillante de David. Ils s'établissent un temps à Narbonne, puis dans le petit village de Monieux, où Vigdis se convertit à la religion juive. Mais un malheur vient bientôt frapper le village : les croisés, répondant à l'appel de Clermont-Ferrand du pape Urbain, s'élancent sur les routes de France, avec l'objectif de reprendre Jérusalem. Ils n'hésitent pas à piller, violer et détruire des villages au nom de Dieu. Monieux est un des villages victimes de leur passage.

Je n'ai pas beaucoup empathisé avec les personnages, sans doute car l'auteur a fait le choix de les présenter d'une manière historique, tenant ainsi le lecteur à distance. Difficile donc de se sentir proche des personnages dans de telles conditions. L'histoire d'amour entre David et Vidgis est présentée de manière très froide, alors que pour tout quitter sans regarder derrière elle, la jeune femme doit forcément être sous le coup d'une passion débordante. En lisant un commentaire sur Babelio, j'ai mis le doigt sur ce qui me gênait (et qui visiblement a gêné bon nombre de lecteurs) : l'absence de dialogues. Certes l'auteur nous fait part de certaines interrogations et questionnements de Vidgis, mais ce n'est pas assez pour que le lecteur se sente impliqué et lié aux personnages, et surtout Vigdis, en tant qu'héroine de cette histoire.

Cela étant, la trajectoire de vie tragique de Vigdis, du massacre du quartier juif de Monieux jusqu'à sa mort, en passant par sa démence, provoquée par les nombreux drames auxquels elle est confrontée, fait forcément réagir et réfléchir sur la place des femmes au Moyen-Age. Violée dès le début du roman par des vagabonds dans les bois, elle est de nouveau violentée lors de sa traversée en bateau sur le Nil. Victime collatérale des massacres religieux, Vigdis n'a personne vers qui se tourner : reniée et recherchée par sa famille pour avoir osé fuir et se convertir au judaïsme, elle est menacée d'être enfermée pour le restant de ses jours, ou, pire, brûlée sur le bûcher. Elle a pour seuls soutiens les juifs qui sont sa nouvelle communauté, mais son physique de Normande la trahit : si certains acceptent de l'aider, d'autres la voient comme une chrétienne, et ne sont pas très enclins à lui offrir un quelconque appui. L'auteur nous décrit un Moyen-Age particulièrement violent, où les ours et les serpents ne sont pas les dangers les plus graves à redouter. Ce sont les hommes, leur fanatisme (« Deus lo volt »), leur avidité et leur cupidité qui mettent en péril la vie de Vigdis.

Si la plupart des évènements et péripéties retravaillées par l'auteur sur la base des documents historiques très parcellaires retrouvés dans la genizah du Caire, je reste sceptique quant au fait que des chevaliers normands soient encore à sa recherche des années après son départ de Rouen…J'ai eu l'impression de me retrouver dans une sorte de western où la tête de Vigdis serait mise à prix.

Le roman aborde et développe plusieurs faits historiques dont le lecteur connaît forcément les grandes lignes, mais ignore les détails : les massacres des juifs, considérés comme infidèles, lors de la première croisade, l'incendie du Caire, au cours duquel énormément de manuscrits ont été perdus…Le côté archéologique et géographique du roman est indéniablement un de ses points forts.

La fin du livre m'a beaucoup plu, car l'auteur explique enfin la genèse du roman : un document trouvé par des chercheurs de l'université de Cambridge au Caire et qui date du XIème siècle, faisant référence à une femme prosélyte, dont on ne connaitra jamais le nom, et qui, toujours selon cette lettre, est forcée de fuir après un pogrom où son mari a été tué et deux de ses enfants enlevés. C'est le point de départ du « road-trip » de Stefan Hertmans, qui séjourne souvent à Monieux, où il a une maison de vacances. J'ai beaucoup apprécié d'en apprendre plus sur le débat entre deux historiens et la théorie de Monieux/ Muño. J'ai d'ailleurs retrouvé sur internet le papier du professeur Norman Golb à ce sujet.

La plume de l'auteur est agréable, son écriture fluide mais recherchée. J'ai ressenti cependant la mélancolie et quelques passages un brin moralisateurs (l'auteur est âgé de 70 ans environ, ce qui peut parfaitement expliquer cette tendance) dont je me serai bien passée en tant que jeune lectrice. Je reste admirative de son érudition et ses recherches, dont ce roman est l'aboutissement.

Après ma lecture, je me suis rendue sur Youtube où j'ai pu l'écouter présenter un autre de ses romans, « Guerre et Térébanthine ». C'est manifestement quelqu'un de très intéressant, féru d'histoire et de politique. Il donne une masterclass à la BNF au mois de mars 2023 et j'espère pouvoir y assister.
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